Pages d'écriture...


 faisant suite aux ateliers, cette page permet aux participants de partager leurs écrits:


Nous avons le plaisir de publier ci-dessous la nouvelle de Janine (atelier de l'UPT de Castres) lauréate du 3e prix du concours d'écriture Philémon, que nous vous proposions en début d'année. Toutes nos félicitations à Janine et bonne lecture à vous tous...




Fragments de mes deux mondes

            Devant la baie vitrée aux nombreux carreaux enchâssés dans des boiseries vertes, nous attendons en chuchotant. Lorsque la cloche a sonné, les garçons ont gravi les trois marches qui séparent leur cour de la nôtre, c'est par celle-ci que l'on accède aux salles de classe. Des rangs se forment, deux par deux, les filles devant, vêtues de blouses de tergal bleu marine, bleu clair, beige, rose, il n'y a pas de couleur imposée. Les garçons derrière. En blouse grise ou bleu marine, leur choix est restreint.
            Des professeurs nous rejoignent, eux aussi en blouse, grise pour le professeur d'espagnol qui arbore des lunettes sur le bout de son nez et une mine de celui avec qui on ne plaisante pas. On rit en douce de lui, surtout les filles : ne vient-il pas de répondre d'un signe de la main à peine ébauché à une blonde aux longs cheveux perchée sur de hauts talons qui lui sourit depuis la rue de toutes ses lèvres soulignées de rouge... Ils sont jeunes mariés, elle est professeur au collège de Saint-A. dans le département voisin, professeur de quoi, personne ne sait. L'important est que G. le revêche est amoureux...
            Le rang de la classe avec qui il commence la journée s'ébranle pour rejoindre les classes en préfabriqué où il fait horriblement chaud l'été, convenablement froid l'hiver. Elles ont été construites près de l'école primaire de filles lorsque le Collège d'Enseignement Général a été créé, comme dans beaucoup d'autres petites villes de France, pour permettre à un plus grand nombre d'élèves d'accéder aux études. C'est ainsi que j'ai pu « continuer » après le cours moyen et entrer en classe de sixième.
            Le rang conduit par le professeur de physique à blouse bleue et à lunettes noires, plus jovial que son collègue professant l'espagnol, dont le nom a déserté ma mémoire, démarre à son tour. Suivi de près par le rang de « la M. », nommée ainsi avec un « la » précédant son nom de famille, comme beaucoup de nos professeurs femmes, (certainement par transposition de la tradition occitane qui nomme les femmes en féminisant le nom du mari), par ceux qui roulent des mécaniques et affublent nos professeurs de surnoms. Madame M. est professeur d'anglais et de dessin et habite le logement de fonction au-dessus de l'école primaire de garçons. Elle a passé un an en Angleterre, en a rapporté des manières, est la seule à nous vouvoyer et à nous donner du Mademoiselle ou du Monsieur suivi de notre nom de famille. Les professeurs hommes nous appellent par un sec « Cauquil », « Enjalbal », « Roques », les professeurs femmes sauf Madame M. nous appellent par notre prénom.
            Le silence est épais lorsque nous sommes en cours avec elle. Les stylos plume avec pompe pour aspirer l'encre bleue dans l'encrier Waterman à facettes, les règles, la trousse ou le plumier en bois se tiennent coi sur le haut du pupitre. Malheur par celui qui tombe ! Il peut valoir moins un ou moins deux à son propriétaire, à défalquer sur la prochaine note. J'ai moins peur d'elle depuis qu'elle m'a demandé d'apporter la reproduction du joueur de fifre de Manet, exécutée sous sa houlette. Elle nous initie à quelques rudiments de culture dont je suis, pour ma part, totalement dépourvue.
            A sa demande, j'ai sonné à sa porte un jour, après le repas pris à la cantine. Je lui ai timidement tendu ma peinture. Elle allait prendre place parmi d'autres travaux d'élèves mis en valeur par une marie - louise, restitués en fin d'année scolaire. Mon cœur battait fort, j'étais fière, à travers ma peinture je me sentais choisie. Elle m'a dit quelques mots dont j'ai oublié la teneur exacte mais ils parlaient de mon travail scolaire, de mon avenir. A partir de ce jour où j'ai découvert que Madame M. pouvait sourire et être cordiale, j'ai eu moins peur avant d'entrer en cours avec elle.

            Pour l'instant, toutes les classes sont rentrées, il ne reste que la nôtre. La directrice est venue nous prévenir que notre professeur de sciences naturelles aura un peu de retard, puis elle est repartie. Le rang ne se défait pas. Des fenêtres de son bureau la directrice pourrait nous voir, et quand bien même ce ne serait pas le cas, cela ne nous viendrait pas à l'esprit.
            Les bavardages, eux, vont bon train. - Ah ! Ah ! « La Juva 4 » ( c'est le surnom donné à ce professeur-là car elle se déplace dans ce modèle de voiture ) est en retard ! -Sa voiture est si vieille ! -Vous avez vu que le clignotant se tend comme un bras sur le côté? -Il paraît que c'est la voiture de son père. -Elle vient de Brassac. - Non, elle habite à côté de Brassac, dans une ferme. - Oui, et quand elle rentre chez ses parents, elle s'occupe des cochons ! - Des cochons !!!
            Et certaines de se pincer le nez dans une grimace de dégoût.
           
            Moi, je ne dis rien. J'écoute, comme souvent, mes camarades de la ville. Pour la plupart filles d'ouvriers, promptes à mépriser les filles « de la campagne ». C'est du moins ainsi que je le ressens. Je me garde bien de leur dire qu'en ce lundi matin du mois de mai, je me suis levée tôt pour partir dans la camionnette du voisin qui fait la collecte du lait de brebis.
           
            Certes, mon père, toujours prêt à accéder à la modernité à condition qu'elle soit à la portée de ses modestes revenus , a été le premier du hameau à acheter une voiture, rapidement imité d'ailleurs par le voisin collecteur de lait.
            La voiture de mon père est une Chenard grise, aménagée en camionnette, qui lui permet d'effectuer quelques transports d'animaux ou d'engrais pour la ferme. Elle se transforme le dimanche en véhicule de transport en commun : les voisins attendent notre passage sur le bord de la route pour pouvoir se hisser par l'arrière une fois que mon père a abaissé la ridelle.  Nous sommes installés dos contre dos sur la banquette de moleskine rouge placée pour la circonstance au milieu du plateau. Dix à douze personnes sont ainsi véhiculées le dimanche ou le vingt et un de chaque mois, jour de la foire, sur les six kilomètres qui nous séparent du chef-lieu de canton. Au retour, il faut ajouter les miches de pain de deux kilogrammes chacune, les boîtes de sucre, les litres d'huile, les paquets de café et autres denrées que les ménagères auront achetées pour subsister pendant la semaine à venir pendant que leurs maris auront échangé des nouvelles du temps, des cultures, du cours de la viande et parlé de la marche du monde en sirotant un verre de vin, rouge ou blanc, au café Bouisset.
            Ils s'y rendent à la sortie de la messe qu'ils ont suivie du fond de l'église, debout sous la tribune qui porte l'orgue, tête découverte, le béret dans les mains croisées devant leur ventre, bien campés sur leurs jambes. Les femmes et les enfants vont plus avant dans la nef, sur le banc qui leur est réservé, plus ou moins proche du choeur en fonction de ce que la famille aura payé au Denier du Culte. Notre banc se trouve après la deuxième chapelle transversale dans la petite travée à droite en entrant dans l'église, sous la statue de Sainte Bernadette. 
            Les emplettes terminées, nous prenons le chemin du retour dans la Chenard grise, peu avant midi.
            Un jour, un gendarme a donné l'ordre au chauffeur, mon père, de ranger la camionnette sur le bas-côté avant d'introduire sa tête inquisitrice par le hayon, resté ouvert à cause de la chaleur tant extérieure qu'intérieure. Nous étions si nombreux qu'il s'est exclamé : « Mais combien êtes-vous là-dedans ? » Nous n'en menions pas large, mon père craignait un procès-verbal pour transport bien supérieur au nombre de passagers inscrits sur la carte grise, et surtout redoutait l'amende qui s'ensuivrait. Mais le gendarme a été magnanime, il s'est contenté de faire quelques recommandations.
           
            Mon père, donc, possède une voiture, il n'en est pas peu fier et nous partageons sa fierté. C'est quand même autre chose que la jardinière tirée par un cheval que conduit son beau-père, mon grand-père. Une petite revanche sur le patriarche qui lui fait sentir, consciemment ou non, qu'ici il est le gendre et que la terre ne lui appartient pas.
            Cependant, il est inconcevable que mon père quitte le travail de la ferme, commencé de fort bonne heure, pour m'emmener au collège à L., alors que le voisin est tout à fait d'accord pour me transporter.
           
            A mes compagnes de collège, je ne dis pas que nous avons mis une heure et demie pour parcourir les six kilomètres qui séparent mes deux mondes, en nous arrêtant dans toutes les fermes sur notre parcours. Qu'arrivée à L., je suis allée me reposer en attendant l'heure de la rentrée des classes dans la chambre minuscule qui m'est octroyée à l'hôtel, situé à deux pas de la laiterie, où mes parents ont pu me loger, faute d'existence d'internat au collège, en échange de légumes, de volailles et du montant des bourses qu'ils perçoivent... Que chez moi, il y a des cochons dont je ne m'occupe pas et des brebis que je garde pendant les vacances et les jours de congé...
            Lorsque j'entends leurs commentaires, mon estomac est brouillé par un sentiment indéfinissable qui réapparaîtra toutes les fois que, dans ma vie, je me sentirai tiraillée entre le monde dans lequel je suis née et celui où « la poursuite de mes études », au demeurant modestes, mais si importantes pour moi, m'aura amenée à vivre...

            Des exclamations fusent.
            « La Juva quatre » est là ! « La Juva quatre » arrive !
            Oui, elles arrivent, la voiture et sa conductrice affublée du même nom par je ne sais quel irrespectueux. Le véhicule long et noir est garé le long du trottoir et notre professeur  de sciences naturelles traverse la cour, son cartable à la main. Les manches ballons de son chemisier rose dépassent de la robe chasuble blanche qui cache ses genoux. Dans un sourire lumineux  proclamant bien mieux que des paroles qu'elle est heureuse d'être là, qu'elle aime son métier, qu'elle en est fière, elle nous dit d'avancer.
            Mon visage s'éclaire, j'avance, déjà intéressée par la leçon qui va commencer... Plus rien ne compte, le poids au creux de l'estomac disparaît, l'avenir me paraît plein de promesses ...

                                                            Janine D.









     Nous avons le plaisir de publier en ces pages la nouvelle d'Isabelle (atelier de l'UPT de Castres) lauréate du 2e prix du concours d'écriture Litterathon, que nous vous proposions en début d'année. Toutes nos félicitations à Isabelle et bonne lecture à vous tous...





Je suis un cri


Je suis un cri.
Un cri primal, brut, violent.
Je ne suis qu’un cri.

« Comment vas-tu mon amour ?  Bien dormi ? »
- Oui, ça va merci. Et toi ? Ouch tu piques… »
Un petit bisou sur la joue, un petit bisou au réveil, un petit bisou qu’on voudrait tendre et doux, de ceux qui réveillent et mettent de bonne humeur.
Mais pas moi.
Ne pas traîner au lit, ne pas paresser ou alors je vais me rendormir, profiter de la tiédeur de la couette, du moelleux du matelas pour prolonger cet instant merveilleux, celui qui existe juste avant que ce p… de réveil ne sonne.
Je suis debout, à chaque fois que je me lève, si tôt, je pense à cette chanson de Cabrel « le jour se lève à peine, je suis déjà debout, et déjà je promène une lame sur mes joues…. » Bon, c’est vrai, j’ai la chance de ne pas avoir à me raser, moi, contrairement à mon mari. Mais c’est moi la première debout, la première dans la salle de bains, parce que sinon, après, c’est la course. Déjà que comme ça c’est suffisamment pénible, si en plus il fallait se marcher sur les pieds, non….

Je suis un cri.
Celui que je pousse au fond de moi chaque matin.

Appuyer sur le bouton de la cafetière, enclencher la bouilloire, chronomètre personnel interne en route, j’ai quelques minutes avant que l’eau ne soit à température pour le thé. Ça me laisse le temps de beurrer une galette de riz, de mettre un peu de miel sur une autre. De me verser un verre de jus d’orange, de sortir mon comprimé, de l’avaler, de vérifier que les enfants ont bien préparé leur ticket de cantine, que les cartables sont près de la porte, que les blousons, les bonnets et les écharpes les attendent sagement au porte-manteau.
L’eau frémit, c’est bon. La verser sur le thé dans la théière. C’est prêt depuis hier soir. Si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon. Enfin je trouve que si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon, plus amer. Chacun son goût, mais comme c’est moi qui prépare le petit déjeuner (comme tous les repas d’ailleurs…) c’est moi qui choisis. Privilège… petit privilège.
Dans 15 minutes, je dois avoir fini de manger.
A la radio, j’entends le journal de 7h. Je sais que si je n’ai pas fini de boire mon thé avant la fin des titres, c’est fichu. Je serai en retard. Après 3 minutes pour me brosser les dents, puis vérifier le maquillage, les cheveux, que rien ne dépasse. Disons 1 minute pour le « coup d’œil dans la glace-coup de peigne ».
Puis je vais embrasser les enfants. La grande se réveille et se lève après mon baiser. Pas le petit. Il est chaud, doux, tendre. On dirait une brioche qui sort du four. Si je l’embrasse sur le haut de la joue, mon nez touche le bas de sa tempe. Là, c’est son odeur. Je voudrais trainer, faire durer le bisou, mais je ne peux pas, il ne faut pas. Lui a tellement de mal à ouvrir les yeux…
« Bonne journée mon chéri.
- Bonne nuit maman », dit-il dans un souffle avant de retomber endormi. Son père le réveillera un peu plus tard, ils ont le temps.

Je pars. J’ai 20 minutes de voiture pour arriver à mon travail. 20 minutes pour me préparer.
20 minutes de solitude, de calme relatif. 20 minutes pour me faire à l’idée qu’aujourd’hui encore, je dois y aller.
Je suis un cri.
Le cri que je pousse tous les matins dans le silence de ma voiture. Avant, j’écoutais la radio, ou je mettais un CD. Avant, je m’ouvrais au monde, j’écoutais le journal. J’aimais bien écouter le journal, surtout la voix de ce journaliste sur France Inter, il avait une voix si chaude, si profonde, celui qui faisait la tranche de 7h à 8h.
Je ne sais pas à quoi il ressemble, en tout cas sa voix était magnifique. Alors oui, je sais bien qu’on parle de « physique de radio », mais quand même, pour lui, non, je ne pense pas, sa voix était tellement jolie. Mieux même : belle. Et agréable, enveloppante, sensuelle, protectrice. Elle me disait « Réveille toi doucement, c’est l’heure, l’heure de  partir, de sortir de ton cocon ». Et moi avec lui, je m’éveillais, je m’ouvrais.
Plus maintenant. Maintenant, c’est le silence le matin. Ce silence je le garde précieusement, il me protège. La seule chose qui le rompe, c’est le cri. Le cri que je pousse dans ma tête et que personne n’entend.
Quand j’arrive, je suis généralement seule sur le parking. La première. Ce n’est pas pour être bien vue, c’est juste parce que j’ai besoin d’être seule quand j’arrive. Je salue le gardien, c’est chaque fois la même chose. « Bonjour, vous êtes bien matinale !
-          Et oui, que voulez-vous, il faut toujours un premier. »
C’est toujours moi la première. Ce matin aussi. Je descends, je prends mon sac, les documents sur lesquels j’ai travaillé la veille au soir. Je rentre dans le grand bâtiment. Le gardien de l’entrée m’attend, il sait par son collègue de la barrière que j’arrive. Pas de secret ici, enfin, pas de déplacement secret, à tout le moins.
Il me salue, comme tous les matins, et moi, polie, douce, je lui réponds. Je suis toujours aimable, toujours. C’est important. Même si j’ai envie de hurler, je m’exprime posément, calmement.
« Bonjour Madame.
-          Bonjour Pierre, comment allez-vous ? Pas trop dur cette nuit ?
-          Oh non, vous savez, j’ai l’habitude. Y a encore personne, c’est toujours vous la première ! »
Oui, c’est toujours moi la première.
Ce matin aussi, encore.
Je monte à mon bureau. Oui, j’ai encore un bureau. Un vrai bureau pour moi seule. L’équipe que je dirige, elle, est rassemblée dans un bureau plus grand, cela lui fait un mini open space. Mon bureau est juste à côté du leur, une porte de communication nous sépare. Et puis les cloisons sont si fines entre nous. Même lorsque la porte est fermée, je peux entendre leurs plaisanteries.
Il y a Marion, la jolie brune sportive, élancée, grande. Elle en impose à tous, même à moi. Elle le sait, mais elle n’en joue pas, en tout cas pas avec moi. Pendant un moment elle s’en est amusée avec Pierrick, le petit jeune de l’équipe, un petit rouquin tout intimidé et rougissant mais bourré d’idées. Il ne sait jamais comment les exprimer, mais quand il les met en place, elles sont toujours révolutionnaires. Au début donc, Marion le chambrait, l’allumait même, ça l’amusait de le voir rougir. Un jour je l’ai entendue lui dire « Quand la chef est là Pierrick, tu es tout chose… Elle te branche ou quoi ? ». Il a bafouillé je ne sais quoi, c’était totalement inintelligible. Et puis Marion a continué en s’adressant aux 2 autres. « Faudrait quand même pas qu’il se berce d’illusions, elle est imprenable ! ».
Oui, je suis imprenable…. « Un vrai glaçon dès qu’il s’agit de la déconne, alors la bagatelle, tu parles ! »
Elle en impose Marion, parce que, elle, elle est prenable peut être.
Et puis un jour les taquineries avec Pierrick ont cessé. Ce jour là, il était seul à son bureau, je l’entendais pleurer. Lui, il pensait sans doute être au calme, il s’est laissé aller. Il pleurait doucement, timidement, comme ce qu’il est. Aline est entrée. Elle est gentille Aline. Gentille et dynamique. Un vrai feu d’artifice, un festival de couleurs à elle seule. Dans sa voix, dans son corps, dans ses gestes. Un pétillement. Et puis son accent, ah son accent ! Elle ne parle pas, elle chante. « Mais qu’est-ce que tu as petit ? C’est pas le travail quand même ? Faut pas te mettre dans des états pareils pour le travail tu sais, ça vaut pas la peine ! C’est Marion, cette grande gigue idiote qui t’ennuie ? Dis le moi, je vais lui tirer les oreilles à cette vilaine, ça va la calmer. Eh bé ? C’est quoi qui te fait pleurer des larmes comme ça que même les crocodiles ils en seraient jaloux ? C’est pas Marco quand même ? Il est couillon mais pas méchant tu sais ! Il parle tout le temps du cul des filles et des bagnoles, il se donne des grands airs, il conduit une voiture que je sais même pas comment il fait pour l’avoir aussi belle, on dirait une voiture de gros riche ! Je sais qu’on est bien payé ici, trop même parfois pour ce qu’on fiche, mais ça on va pas s’en plaindre, hein petit ? Mais quand même, sa bagnole, elle en jette ! Oui, il est couillon à se vanter comme ça, mais il est brave comme tout, sa femme, elle en fait ce qu’elle veut du beau Marco ! Alors ? C’est quoi qui te fait couler ces rivières ? Il va bien falloir que tu t’arrêtes de sangloter et que tu le dises à ta copine Aline, mon mignon !
-          Ben, tu sais, c’est ça…
-          « Ça » quoi ?
-          Je suis un « mignon »… Tu ne sais pas ce que c’est ?
-          Non, pas trop. Ça, mignon, oui, tu l’es tout plein avec tes grands yeux verts, tes taches de rousseur, tes cheveux ébouriffés, ta petite silhouette fragile. Si t’avais pas 3 poils au menton, on pourrait te prendre pour une fille et… Oh…

Les plaisanteries de Marion sur Pierrick ont cessé depuis.
Un jour qu’il n’était pas là, j’ai entendu Marion et Aline qui remontaient les bretelles à Marco. Je souriais de les entendre dans mon grand bureau, toute seule.
« Ecoute, sois sympa avec lui ! C’est quoi qui te gêne ? Avant de savoir qu’il était gay, tu étais normal avec lui, et depuis que tu le sais, tu l’évites, tu ne restes pas seul avec lui !
-          Il t’a fait des propositions ? Non, jamais !
-          Tu le sais bien qu’il ne t’en fera pas. Et puis arrête ton délire ! Tu as vu comment tu es taillé ? Si tu lui retournes une pichenette, il décolle !
-          A moins que tu n’aies peur parce que tu en as envie, hein ? Tu te le ferais peut être bien le petit Pierrick !
-          Arrête Marion tu dis n’importe quoi ! C’est pas ça, mais c’est bizarre, c’est tout. Tu sais Aline, il faut juste que je me fasse à l’idée. En fait, moi j’étais content qu’il y ait un autre mec dans ce bureau ! Je commençais à me sentir seul avec toutes ces femmes autour de moi. Je me disais que je serai moins solitaire, qu’on pourrait délirer ensemble sur le 95D de la jeune comptable qui rougit dès qu’on lui parle, qu’on parlerait voitures, foot, qu’on irait boire des bières ensemble, draguer, jouer au tennis…
-          Des trucs de mecs, de vrais mecs quoi ! Mais c’est pas parce qu’il est pédé qu’il n’aime pas le foot pauvre cloche !
-          Oui, tu as raison… Je … je vais essayer de me faire à l’idée. »
Marco s’y est fait. Tout comme Marion et Aline.
Ils savent que je sais. Nous n’en avons jamais parlé. Nous ne parlons jamais de nos vies privées. Eux le font entre eux, mais pas avec moi. Pour eux, je suis la chef, quand la porte est ouverte entre nos bureaux, je les entends parler, ils plaisantent, ils ne se gênent pas parce que je suis là, mais jamais ils ne m’invitent avec eux. Ils savent que je suis mariée, que j’ai 2 enfants. Ils les ont vus à l’arbre de Noël. Tout comme je sais qu’Aline est grand-mère depuis peu, que Marion change souvent de petit ami et qu’elle n’est pas pressée d’avoir des enfants, que Pierrick a retrouvé quelqu’un mais qu’ils ne vivent pas ensemble et que Marco sera bientôt papa puisque sa compagne blonde (à forte poitrine selon Marion qui lui a un jour affirmé que c’était son seul critère de sélection chez les femmes avec peut être aussi un gros cul, ce à quoi il a répliqué qu’il était heureux qu’elle se rende compte qu’elle n’avait aucune chance avec lui ) va accoucher d’ici un mois.
Tout ça, nous le savons. Mais ils sont ensemble et je suis seule dans mon grand bureau silencieux, dans mon grand bureau où je suis seule à crier.

Ils ne sont pas encore arrivés ce matin. Je suis toujours seule. J’entends quelques portières claquer au dehors. Le jour se lève. Pas de trace de nuages. Ce sera une belle journée.
Une très belle journée. De celles où on se sent des ailes, prêt à faire tout ce qu’on a déjà reporté tant et tant de fois.
De celles où on se dit qu’il faudrait arrêter de crier au fond de soi parce que ce cri l’enlaidit, cette belle, si belle journée.
A moins de crier une fois, une seule. Le laisser sortir de soi, le laisser remplir tous ces silences. Ne plus se poser la question de le retenir.
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Tant et tant de choses encombrent mon esprit. Trop pour que je puisse y faire un tri.
Je suis seule dans mon bureau mais plus pour longtemps. Ils vont bientôt arriver.
Aline rentrera en criant « Bonjour chef ! » avec son petit sourire au coin des lèvres. Elle aime ça, m’appeler chef, ça la fait sourire parce qu’elle sait qu’elle pourrait être ma mère. D’ailleurs, elle à l’âge de ma mère. Puis ce sera Marion ou Marco, selon les  jours, selon le temps mis à dégivrer la voiture ces derniers jours, c’est variable. Pierrick arrive un peu plus tard. Il est souvent juste à l’heure, presque en retard. Mais je ne dis rien. Il ne compte pas son temps, alors pourquoi lui reprocher des broutilles ? Autant qu’il se sente à l’aise. C’est tout à notre avantage. A tous.
Marco allumera la cafetière, Pierrick aura apporté des chouquettes, ou des croissants ou des cupcakes. En ce moment, c’est son dada. Il cuisine et nous en fait tous profiter. Nous prendrons un café ensemble, réunion d’équipe pour faire le point, papoter aussi un peu. Enfin, pour qu’ils papotent et que je les écoute. Pour que Marco et Marion fassent le bilan des potins de la boîte.
Bientôt, dans quelques minutes, ils seront là.
La journée sera belle, ensoleillée, lumineuse, merveilleuse. Une si belle journée.
Il faudrait que rien, rien, ne vienne la gâcher. Si j’avais un souhait à faire, ce serait celui là. Que rien ne vienne l’abimer.
Que je garde cette lumière en moi, comme l’odeur de brioche de mon fils, la douceur veloutée de la joue de ma fille, les poils de mon mari qui piquent mes lèvres.
Que je garde le goût du thé de ce matin, le sucré du miel dans ma bouche.
Ils vont arriver. Je vois la voiture de Marco à la barrière. C’est étrange que ce ne soit pas Aline la première. Avec ce gel si fort, elle a peut être eu du mal à démarrer. J’espère qu’elle n’est pas malade. Je voudrais qu’elle soit ici aujourd’hui, c’est important. Mais c’est mieux que ce soit Marco d’abord. Lui, il ne criera pas, je ne crois pas.

Je l’ai vu une fois, j’en ai entendu parler. Il suffit de 2 crayons bien taillés, affutés. Placés au bord des narines. Il faut se pencher en avant, rapidement, violemment. Il parait que c’est instantané. Le cerveau est tout de suite touché. Et tout s’arrête. Je ne sais pas si j’aurai mal. Je sais juste que le cri cessera.
C’est bien.
Je le fais. Tout est prêt.
C’est mieux que ce soit Marco le premier.
Voilà.
Je le fais.






 Sur le thème : Melting'popote aux Ateliers du Pont des Demoiselles...
 
À partir d'une recette



Pomme, poire, abricot

Y en a une, y en a une

Pomme, poire, abricot

Y en a une qui est en trop



C'était par une nuit noire. On entendait au loin mugir le vent et craquer les arbres.

Un hurlement! C'est le bruit du cochon qu'on égorge!



Un petit cochon, pendu au plafond

Il n'a plus sa queue en tire-bouchon

On a découpé et une, et deux, et trois et quatre côtes

On a épluché et une, et deux, et trois et quatre échalotes

Petit cochon d'or et d'argent,

Tu vas finir en rôtissant.



C'était par une nuit noire. On entendait au loin mugir le vent et craquer les arbres.

Des gémissements, des pleurs...

Ce sont les larmes des abricots que l'on cueille. C'est qu'il en faut pour faire 600gr.

Ah ce petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles, il en faut bien un verre.

Et une  et deux cuillères à soupe de vinaigre

Et une et deux cuillères à soupe d'huile de noisette

Assaisonnez-moi tout ça

Giroflée, girofla

Poivre et sel

Sauge et soja

Par Françoise



Ça tourne au vinaigre



Pourtant ça avait bien commencé. Il était arrivé de bonne heure, avait récupéré un peu de jus au coin de la cuisinière et il l'avait siroté doucement. Il avait mis son grand tablier blanc, il s'était lavé les mains.

Il avait doucement préchauffé la poêle. Il les avait épluchés, émincés. Les navets s'étaient laissé glacer sans résister... Mais quand le petit commis a voulu les caraméliser, il s'est retrouvé chocolat. Le feu était trop vif. Les navets ont cramé. Le petit commis s'est mis à pleurer. Ses larmes ont coulé sur les navets brûlés. A ce moment là, le chef est arrivé. Il s'est mis à hurler, à assaisonner son commis.

« Je vais te faire sauter, je vais te faire bouillir, je vais te passer au chinois. Gâcher ainsi des petits navets tout frais. Dehors!!! Je ne veux plus jamais te revoir! Et emporte-moi ça!»

Le petit commis est sorti, avec à la main la casserole encore fumante de navets brûlés.

Il est resté toute la matinée, figé, devant la porte du restaurant.

Quand on l'a conduit à l'hôpital, il était traumatisé à jamais. Tout le reste de sa vie, il est resté muet, muet comme une carpe, aux navets bien sûr, aux navets brûlés.

Par Françoise



Ailleurs rime pour moi avec meilleur. Les odeurs, les saveurs, toutes les belles couleurs, c'est déjà la promesse d'un voyage dans mon assiette. Perles de coco, feuilles de bambou, je pars en Thaïlande, où ? C'est le pays des 1000 recettes. Les poêlons bien culottés, en fonte, voient rissoler des crevettes et du poisson toute la journée. Dans cette cuisine ensoleillée, le vert pistache des murs répond au vert émeraude des feuilles de bananier. Pour une soirée aphrodisiaque, je n'oublie pas quelques lamelles de gingembre dans le plat. Poulet, noix de cajou, la farce du poivron est une ode aux parfums... Que ferais-je encore sans coriandre, odorante et délicate herbe aromatique ? Exhalaison de saveurs douces, peu sucrées, parfois pimentées, plus ou moins corsées, toutes très riches et nuancées. Je cuisine aussi le bœuf, le crabe avec tout cela : pour finir en beauté une belle flambée à l'alcool qui ravit les palais, qui réchauffe sans trop enivrer. Je bois, également, la bière du pays, tantôt très légère, tantôt âpre, gouleyante ou accrocheuse. Enfin, ce petit tour de mes récentes découvertes ne serait rien sans un autre alcool, le whisky japonais, cousin éloigné du malté écossais. Ses arômes terriens, peu iodés, me réconcilient avec le whisky, que je n'ai jamais pu ou pas appris à apprécier. L'alcool, je vois cela comme une friandise, même si la boisson est forte en degrés et peu sucrée : c'est occasionnel, ça réchauffe, et il faut bien doser les verres. Pour l'accompagner, quelques sucreries, pas forcément du pays, qui favorisent les métissages... comme les douceurs savent si bien le faire. Financiers, cannelés, éclairs, religieuses, macarons, tarte tatin ou pêche Melba, quelques fruits secs autour d'un café, que ma mère sait si bien faire, ni trop doux ni trop corsé.

Par Elise



A propos de 3 recettes :

Je n'en n'avais jamais goûté qu'au restaurant, le souvenir de cette pièce de choix, au nom rieur dans l'étal léché du boucher. Le veau était rare à la maison, j'ai d'autant mieux apprécié ce mets, à vingt ans passés, follement bien accompagné(e). Dans une assiette en porcelaine bien chaude, le précieux morceau moëlleux et savoureux, couvert de pommes de terre gaufrettes et nappés d'une sauce à l'échalote. (ris de veau)

Comme les fondations d'une maison solide, l'inamovible plat roboratif vêtu d'une robe aillée, ourlé de persil finement ciselé, chaque dimanche, nous ré-ga-lait. Rondelettes, grassouillettes, parfumées à l'huile d'olive, les mignonnes se dévoilaient sous leur fine peau craquelée. Et, pour finir, la fleur de sel éclatait au palais, ravivant leur texture amidonnée. (Pommes de terre ail et persil)

 « Jamais de beurre ni de sucre dans celle-là ! » rappelait toujours maman en nous servant le fameux dessert, le régal des fins de repas, l'extase des petits et des grands. En voyant sa surface lisse, alvéolée par endroits, le plaisir d'y tremper sa cuillère éclatante n'avait pas de prix : on y découvrait sa texture ferme et soyeuse à la fois. La caresse de la cuillère sur la mousse avançait en faisant des schhh et des vzzz extatiques. (Mousse au chocolat)
Par Elise

LÀ OÙ ÇA PÊCHE !
C'était à l'occasion des vingt ans de ma cousine, toutes les tâches étaient déjà réparties et j'ai récolté de l'impératif apéritif... une plaie : l'introduction des festivités, il ne faut pas s'louper. Comme décidément personne ne voulait s'y coller, j'ai récupéré la recette ancestrale, transmise dans ma famille depuis trois générations, comme les petits pois au pigeon. Voyez : il me fallait trouver soixante-dix feuilles de pêcher. J'ai bien péché, je ne savais où regarder ! Tonton Dédé, dans son joli verger et dans sa grande bonté, me proposa de venir passer l'été chez lui. Je prendrais l'air, le soleil et mes feuilles au moment opportun. Cet été-là fût remarquable : juillet rempli d'un soleil éclatant, brûlant, et les inévitables orages d'août. C'est sous un jour auguste que tonton m'aiguilla pour le ramassage des feuilles de pêcher : une fois les fruits cueillis, mis en bocaux, on s'attela à prélever, avec une minutie patentée, soixante-dix feuilles. Il fallait qu'elles soient d'un vert homogène, pas dentelées et encore moins trouées. Je faisais le tour du pêcher, perchée sur une échelle en bois rafistolée que tonton déplaçait, moi debout sur la dernière marche.
« -Va un peu plus sur ta gauche, là, il y en a une belle ! me cria-t-il.
-Je suis trop loin ! Je penche, je vais tomber ! Ah... »
Virant à l'oblique, les mains accrochées au dernier barreau, j'embrassai l'herbe avec force. Bilan : une jambe cassée pour une fête bien arrosée.
Par Elise
  

Salade folle

« -Oh mon chou, oh, t'es vraiment un chou, toi. »

Je te lui avais mitonné une de ces belles salades dont moi seul ai le secret, assaisonnée de belles herbes, de graines de grenades, d'échalote finement émincée, de foies de volaille bien dorés et déglacés au Marc de Bourgogne...

« -Ne me raconte pas de salade, mon canard. Pourquoi tant d'attentions si soudaines ? Qu'est-ce que tu mijotes ? Se renfrogna-t-elle subitement.

-Ma cocotte, tu me fais suer avec tes rodomontades, si cinglantes, si crues, tu me bats froid... qu'ai-je fait ? » Me défendis-je.

Cette grue, fière et hautaine d'un seul coup, me coupa l'herbe sous le pied. J'y ajoutai mon grain de sel :

« -Dis donc poulette, faudrait voir à ne pas me les briser menu. Je te nourris, je te régale, et toi tu me gaves.

-Rat ! Je me presse le citron toute la sainte journée au turbin et v'là le bilan : une chouette soirée qui tourne au vinaigre, une de plus, cria-t-elle.

-Tu me fais bouillir ! Hurlai-je de plus belle. Grue ! Fière à bras ! Dinde ! Va donc, si tu te crois plus maligne, à faire partie du gratin ! ».

Je tournai les talons pour attraper ma gabardine et partir, ras-le-bol d'attendre le dégel.


Popote !
Perchée dans le figuier, je ferme les yeux. Les abeilles, les guêpes bourdonnent autour de ma tête, il fait chaud… Les feuilles comme des mains innombrables, j’aspire leur odeur. Le fruit enfin, fendu, ouvert, offert.
Le fruit comme une blessure.
Ca rissole, ça frétille,, ça chantonne, ça exhale des senteurs délicieuses. Le gras devient translucide, il fond dans la poêle. Jetons les pissenlits vite, tournons et retournons et le jet de vinaigre.

A nous deux !
Je l’ai devant moi, sur le plan de travail de la cuisine, le potimarron ? Il est joli, avec son ventre bien rond, son museau effilé et sa couleur éclatante, il joue les innocents mais je t’aurai la peau, potimarron !
Je ferai de toi un gratin cuit avec des œufs, du gruyère et de la crème. Je te parfumerai avec de la noix de muscade. Je te regarde, tu es tranquille sur la planche à découper, tu es clos hermétiquement, ta peau luit  doucement. Je pourrais te laisser  sur le bord de la fenêtre, tu illuminerais les jours gris de novembre, oui, je pourrais mais j’ai décidé de te manger. Je te cuirai doucement avec des oranges et du sucre, tu deviendras confiture sublime, acide et moelleuse à la fois. Hum…
Mais avant, il faut que je te pèle, que je te coupe, que je t’épépine. Dans ma main, le grand couteau en céramique que j’ai acheté l’autre jour et qui coupe si bien. Je prends ma respiration, je fais le calme intérieur. Vas-tu faire riper la lame sur ta peau dure comme du bois ? C’est ce que tu as fait l’autre fois et tu as sauté sur le carrelage de la cuisine d’où tu m’as narguée, lisse et luisant comme un potimarron innocent. Ta cuirasse a-t-elle un point faible ? Je tiens le couteau fermement, j’en éprouve le fil, je vais foncer, pointe à l’avant. Je suis prête pour l’assaut, je vois déjà ton ventre ouvert, tes tripes fibreuses, tes semences inutiles et je ricane intérieurement, ta chair s’attendrira enfin. Tu seras vaincu.
                                                        Par Geneviève  

Douceurs entre copines



« Ailleurs rime pour moi avec meilleur »Jamais contente celle-là. Pourtant, je lui ai mitonné un pot au feu maison avec os à moëlle et tout. Mais je m'en doutais. Quand j'ai cherché les recettes sur internet, j'ai faillir choisir une recette de plat indien avec plein d'épices bizarres. Je sais que ça, elle aime. Mais y'en a marre de tous ces gens qui ne savent pas reconnaître ce qui est bon chez nous.

Un pot au feu avec les carottes, les navets, les poireaux, les pommes de terre de mon jardin quand même !

« Ailleurs rime pour moi avec meilleur »

J'en ai marre ! Celle -là, je ne l'invite plus !
J'aurais dû lui préparer un apéro aphrodisiaque avec plein de gingembre et tout. Elle aurait été un peu plus sympa peut-être.

« Ailleurs rime pour moi avec meilleur »

Elle n'a pas besoin de dire des choses comme ça. Et puis ailleurs c'est où ?

J'aurais dû faire une farce avec du foie et du poulet. Je sais qu'elle a horreur de ça. Au moins, elle aurait eu une bonne raison de faire des réflexions.

Quand je vais chez elle, c'est toujours chinois, indien, zoulou, zapothèque, sénégalais,

Je croyais pourtant lui faire plaisir.

Tant pis, elle aimera peut-être mon baba au rhum. J'y ai mis au moins trois verres

d'alcool. Si elle fait la grimace, je la fiche dehors !

Et voilà, elle fait la grimace.

« Le rhum, c'est quoi ? Du Negrita? Moi j'y mets toujours du rhum vieux de la Martinique »

Et bien non, moi c'est du Negrita. C'est celui-là qu'utilisait ma mère. Sûr qu'il a des arômes un peu vulgaires mais au moins, on sait que c'est du rhum.

« Ah les friandises du Maroc ! Quelle merveille! Tu as goûté leurs pâtisseries ? »

Non, j'ai pas goûté les friandises du Maroc. Elle m'énerve mais elle m'énerve ! Ça va finir mal.

« J'adore les métissages culinaires. La cuisine d'ailleurs flatte mes papilles »

Je t'en fiche moi, du métissage et des papilles. La prochaine fois, je lui fais bouffer la pâtée de mon chat. Je lui dirai que c'est du pâté maison fait par ma mère, une recette auvergnate.

Puisque c'est d'ailleurs ça sera meilleur !              

Par Françoise



Recette réaliste du gratin de potimarron



Très belle recette mais elle néglige une vérité, une vérité incontournable : le potimarron résiste ! C'est sa nature. Douce et sucrée, sa chair se protège dans une carapace presque infranchissable.

N'essayez pas de le couper avec votre couteau habituel, vous casseriez la lame. Il vaut mieux sortir votre hachette, celle que vous utilisez pour faire du petit bois.

« Jetez le potimarron coupé en gros dès dans l'eau bouillante » Jeter le potimarron, vous y arriverez, mais le jeter coupé en gros dés, ça m'étonnerait. Moi, je n''y suis jamais arrivée.

Donc, je ne jette pas le potimarron coupé en gros dés dans l'eau bouillante.

Non, je le pose, entier, avec la queue, dans un plat en terre. Je mets un peu d'eau au fond et je l'enfourne dans un four bien chaud. Il n'aime pas ça. Il transpire, il sue. Comptez 30mn de sauna pour un potimarron de taille moyenne.

Quand vous le sortez du four, il a abandonné toute résistance. La lame du couteau y entre comme dans du beurre. Il s'ouvre. Avec une grosse cuillère, vous enlevez les pépins. Puis vous râclez la chair. La peau reste dans le plat, vide et ratatinée. Ne vous donnez pas la peine d'égoutter le potimarron, il n'y a rien à égoutter.

Maintenant, vous pouvez poursuivre votre recette de gratin. Le potimarron se laissera faire.            

                                      Par Françoise







inspiré des notes & des mots de Nino... 





QU’IL FAIT BON LE DIMANCHE MATIN SEULE TRANQUILLE


Tout est calme autour de moi … personne ne bouge … quelle heure est-il ? Combien de temps ai-je devant moi ? Seul un pale rayon de soleil qui perse à travers le volet trahit le petit matin. Tulipe aussi sait qu’il est temps de déjeuner en grattant à ma porte, seule âme éveillée dans la maisonnée ! Cette bête est un véritable détecteur à ondes humaines, pas besoin d’avoir mis le pied à terre, elle rapplique dès qu’on se tourne dans le lit ou mieux cligne les paupières … devin le chat !

Bon chouette, tout le monde dors autour de moi ce dimanche. Ma moitié à temps partiel ronronne, mes fils ne bronchent pas encore au chaud dans leurs rêves d’enfants !

A moi de profiter  ses quelques dizaines de minutes  volées au temps présent.

Je me contorsionne comme un vers pour m’extraire de la couette. Pas vue, pas prise ! Un ronflement plus haut que les autres m’indiquent que mon plan d’évasion fonctionne. Dans ma fuite,  j’en ai oublié mes pantoufles au pied du lit et le carrelage froid me fait l’effet d’une douche ! En bon plantigrade qui sait décomposer ses mouvements j’essaie de poser au maximum un orteil à la fois et être aussi légère que Tulipe … foutu chat, le voilà qui se frotte à mes jambes, faisant de savants huit et me rappelant que je n’ai plus d’excuse pour son petit-déj ….  Je m’empêtre dans la bête et vais m’aplatir dans le couloir. Pas besoin d’alarme anti-intrusion, prenez un chat c’est un excellent piège à voleurs. 

Ouf manifestement je n’ai réveillé et progresse jusqu’à la cuisine en rasant les murs comme les évadés des dessins animés.  Première étape réussie !

Epreuve suivante, se faire une tasse de thé peinarde. A travers la fenêtre je jette un rapide coup d’œil pour me convaincre qu’il est encore bien tôt.  Dehors les champs sont blancs de givre, une nappe de brume s’élève du sol sous l’effet des premiers rayons.   Le sifflement de la bouilloire me tire de ma rêverie … il est temps : Kusmi-Tea ? Marco polo ? Ou vulgaire lipton ? va pour les notes épicées de prince Vladimir et s’imaginer au marché de Noël bruissant de monde et d’odeur pendant que moi je me pose confortablement dans le canapé.

Formidable, j’ai tout pour moi : le calme de la pièce et tout son volume paisible sans ado squatteurs ni petits brâmeurs  (Renault l’a bien compris dans sa pub – le luxe c’est l’espace) , un thé fumant, de quoi lire et même le chat en guise de bouillotte … de l’autre côté du mur , ils croient ce qu’ils veulent, je m’en fou et je suis abonnée absente.

Je me détend en feuilletant des magasines … tiens tiens un article sur Nino Ferrer qui a trouvé refuge dans le lot … ça alors je pensais qu’il avait disparu de la surface de la terre depuis longtemps celui-là.  Mais c’est qu’il y a pleins de photos de famille,  de sa guitare, de ses voyages, de ses peintures aussi… des morceaux de textes qui me ramènent 20 ans en arrière.  Je me laisse bercer avec Alexandre, cherche moi aussi Mirza et ne veux pas répondre au téléphon comme Gaston. Je glisse dans le canapé et glisse encore sur une autre pente …

Tout d’un coup je me sens observée par 4 yeux lourds au dessus de moi, Arthur et clément ont même les traces de l’oreiller sur la joue et le culot de me dire « qu’est-ce que tu fais, cela fait des heures qu’on est réveillé ! Quand est-c qu’on brunche ? » … vive le dimanche familial !
par Sylvie


SUR L’AIR D’ALEXANDRE 

Qui qu’a cassé notre rêve du petit matin

Qui qu’à caché les pilules du sommeil

Qui qu’a pas fait des pas de souris

Qui qu’a le ventre qui gargouille  

C’est Tulipe,

C’est encore ce foutu chat

C’est toujours comme çà le matin,

Qui voulez vous que cela soit 



Qui qu’est tombé sur la tête

Qui qu’a fait tout ce raffut dans ma vie

Qui qu’a mangé tout le chocolat

Et qui c’est qu’a mordu mon amour propre ?

C’est l’homme des bois

C’est encore lui

C’est toujours HH

Qui voulez vous que cela soit



Qui qu’habite la rue à deux pas

Qui qu’a bu mon thé Mácha

Qui qui s’est fait un bain fumant

Avec sans gène

Ca ne peut être que mon double

C’est toujours cette part libérée de moi

C’est encore le même qui me joue une partie d’échec

Ça doit être un sacré filou ! 
  par Sylvie






Pique nique à Montcuq


Sur la départementale 28, un dimanche du mois d’août, vers 13h00, le soleil du Quercy sur nos têtes.

Nous embarquons dans la Ferrari rouge flamboyant, les garçons, le chien Mirza plein de poils. Plus de place maintenant dit en riant Nino ! Dans le coffre trop petit, les deux paniers de pique nique où dépassent les deux Bourgogne.

Je nous trouve très beaux, une joyeuse équipée. Allez Corto Maltese est reparti pour de nouvelles aventures! Tout le monde chante dans le bolide qui prend toute la place sur la minuscule route de campagne. C’est lui qui conduit ce sera moi au retour ! Moi je ne bois pas j’attends petit « brin d’amour » c’est comme ça qu’il les appelle nos bébés. Aujourd’hui Nino est de bonne humeur il a chassé ses vieux démons, ses envies d’ailleurs jamais assouvies. Il a pris son air nonchalant que j’aime tant, sur qui tout glisse...  Mon dandy blazé comme je l’appelle quand je veux l’enrager !

Il accélère, il sifflote son dernier tube » Les cornichons... ».Crissement de pneus. Brutalement la Ferrari s’immobilise. Secouée, je me tiens le ventre. Les enfants sont presque passés devant, ils rient, crient : » Qu’est ce qu’il ya ? Qu’est ce qu’il ya ? »

« Pardon » dit Nino à mon adresse, faut que je retourne, les cornichons, j’ai oublié les cornichons ! Un pique nique sans cornichons c’est comme un dimanche sans messe, un cow-boy sans  bottes ! Une désabusion. J’y retourne immédiatement ! »

Par Marie-Claude



Qui qu’a cassé la voiture rouge de Nino ?

Qui qu’a caché les pipes en bois de Nino ?

Qui qu’a pas fait le café de Nino ?

Qui qu’a pris le métro sans Nino ?                         C’est Kinou

C’est encore Kinou

C’est toujours Kinou

Qui voulez vous que ce soit ?

Qui qu’est tombé dans la confiture ?

Qui qu’a fait  la peinture ?
Qui qu’a mangé  le caviar mur ?
Et qui c’est qui a mordu la fourrure ?                    C’est Kinou
C’est encore Kinou
C’est toujours Kinou
Qui voulez vous que ce soit ?
Qui voulez vous que ce soit ?
Qui qu’habite la rue Mouffetard ?
Quo qu’a bu mon Pommard ?
Qui s’est fait un pétard ?
Avec  un  cigare?                                        Ce ne peut être que Kinou
                                                                           C’est toujours Kinou
C’est encore Kinou
Ca doit être Kinou

                               Par Marie-Claude 

 

J’aime, J’aime  pas le Dimanche



J’aime me réveiller au miaulement désespéré de la chatte, ouvrir un œil, regarder l’heure, le refermer, le rouvrir résolument, alléchée par l’odeur du café.

J’aime prendre le temps de lire avant de me lever. Aura-t-il l’idée de me porter un petit café au lit ? Droit de rêver,  non ?  !

Soudain plus de bruit. Claquement de porte d’entrée. Parti, il est parti. Destination marché de St Aubin.
Rituel dominical avec promesses de gourmandises à la clé : cabécou, pain bis, et si j’ai de la chance, en dessert, un ou deux livres chinés chez les bouquinistes, éditions rares (?)

J’aime les sorties balades  en bord de Garonne, faire un tour dans une expo du Château d’eau  ou à l’usine du Bazacle ou  les deux.

Au Bazacle, recevoir les embruns de la Garonne en furie  les yeux fermés sur la grande terrasse de bois, rester plantée devant la passe à poissons  qui ne passent jamais.

J’aime croire qu’un jour  j’en verrai un, un  gros, un gros saumon qui remonterait  la rivière. Droit de rêver, non ?

Se promener dans l’expo  de Germaine  Chaumel  sur Toulouse sous l’occupation- Coiffures de femmes mûres.

Souvenirs de photos de ma grand-mère à cette époque- souvenirs remontent à la surface-rituel des repas dominicaux, en famille- avec Bon papa, Bonne maman mais pas bon dimanche !

Recommandations parentales dans la Peugeot 304, sermon maternel à la nichée remuante.
A l’arrivée chez les grands parents, essayer d’éviter les baisers, parfum écœurant de Bonne maman. Mal au ventre rituel des filles avant le repas.

Retrouver les bibelots interdits aux  petites mains  maladroites.

Toucher ceux  en laiton  fabriqués avec des obus de 14, des balles du Bon Papa, froids et étranges.

Au  repas, tensions que nous les enfants ressentions  d’emblée, l’oreille ouverte aux paroles distillant  des flots de reproches  habituels  à la mère, belle fille de Bonne Maman. Humiliation et  larmes de la mère,  cris et pleurs des enfants. Bon appétit !

Rituel des plats toujours les mêmes : abats de bœuf ; cervelles  sorties d’un papier journal ; langue de bœuf sanguinolente ; odeur entêtante des rognons.

Enfants silencieux, yeux écarquillés devant toutes ces saignantes natures mortes.

Cacher la boulette de viande mâchée furtivement dans la main, la jeter au grand caniche noir qui guette sous la table. «  Je n’aime pas la viande qui saigne » dis-je définitivement aux parents  effondrés  de contrarier la sorcière Bonne Maman.

Longs dimanches, envie de fuir, de retrouver le calme, de consoler la mère.

Bonheur de sauter d’un pied sur l’autre sur le bord du trottoir en attendant les adieux faussement joyeux.

Au retour, sévères remontrances dans la voiture »  Vous avez  fait les intéressants, vous irez au lit sans manger »père, mère réconciliés.

Ouf ! Les parents ont évité la dispute dominicale. A quel prix ? Nous les enfants le savions chaque dimanche soir.



Dégoût définitif de la viande  
Par Marie-Claude

 

 

 

 


profitant des derniers rayons d'un soleil automnal...  





SOFIA



Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum orangé de la banlieue toulousaine. Sofia laissait aller son regard sur les mouvements de la ville. Elle n’écoutait plus sa mère, elle s’était refermée sur elle-même. Elle était exaspérée par cette responsabilité d’aînée d’une fratrie de cinq filles. Elle n’y était pour rien si son père était parti il y a dix ans les laissant toutes les six démunies.

Elle ne niait pas le courage de sa mère, son dévouement, elle ne niait pas  l’amour dont elle les avait toujours entourées ses quatre sœurs et elle. Mais aujourd’hui, elle n’en pouvait plus, du haut de ses seize ans de porter les responsabilités que sa mère lui demandait d’assumer. Elle finit par raccrocher aux paroles prononcées dans le salon.

- Oui, je sais : toi en Afrique tu allais au puits chercher l’eau dès huit ans, deux kilomètre aller, deux kilomètres retour. Oui je sais : à mon age tu m’avais déjà. Oui je sais tout ça maman ! Mais là on est en France. Les traditions sont différentes et je n’ai plus envie de traîner la responsabilité de mes sœurs tout ça parce que je suis la plus vieille ! Tu ne te rends pas compte de ce qui m’a été proposé aujourd’hui : faire un test pour être mannequin, c’est exceptionnel ! Je pourrais voyager à travers le monde si ça marche et gagner beaucoup d’argent, et là je pourrais vous offrir tout ce dont vous rêvez toi et les petites !

Sa mère protesta. Elle n’aimait pas ces dérives nouvelles qui veulent que l’on devienne quelqu’un que lorsque l’on est en photo en première page d’un magazine ou invité dans une émission de télévision.

- Et puis tu m’énerves, reprit Sofia. J’aurais vraiment du écouter mes rêves d’enfant et devenir pompier. C’est vrai, tu m’as toujours dit que ce n’était pas un métier pour une femme et maintenant que j’ai la chance de pouvoir m’engager dans un métier féminin, tu n’es toujours pas d’accord.

Sofia savait qu’elle poussait les limites de l’insolence trop loin, elle savait qu’elle faisait de la peine à sa mère. Elle s’en voulait dans un sens et dans un autre était heureuse de s’affirmer dans ce qu’elle considérait comme sa première prise de position adulte.

Sa mère changea alors d’attitude. Son visage s’illumina et un large sourire fit place à sa mine renfermée. Sofia connaissait bien ce sourire. Il était leur phare dans la nuit de leurs grands et petits soucis. Il était rassurant, réconfortant. Il était tellement beau surtout. Mais là, elle ne comprenait pas le changement d’attitude de sa mère.

Celle-ci lui ouvrit les bras et la serra très fort comme on berce un enfant qui a eu peur. Elle comprenait à présent que sa petite fille était en train de devenir une petite femme, ce qu’elle avait voulu, et qu’elle aussi, avait des rêves comme elle avait eu dix-huit ans plus tôt en quittant son Afrique natale.

- Nous sommes toutes pareilles, nous rêvons toujours d’un ailleurs meilleur, et voulons toujours aller chercher très loin le bonheur qui est à nos pieds, lui murmura-t-elle tendrement.

Sofia raconterai cette histoire à sa fille un jour et elle la ponctuera en disant : «  J’ai aujourd’hui compris ce qu’elle voulait dire mais à l’époque, j’ai mis quelques secondes à bien saisir le sens de ses paroles.


 par Virginie




UN SOURIRE



Un sourire imperturbable, un sourire accroché à ses lèvres comme une victoire, un sourire en regardant sa fille, sa fille qui se marie aujourd’hui.

Droite, altière dans sa robe mauve de princesse, comme une revanche, le bonheur, la fierté d’avoir réussi à tenir bon toute seule et d’avoir mené sa petite tribu dans la construction de leurs vies.

Sa vie, la sienne, elle l’avait commencée là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, bien plus au sud, dans un petit village d’Afrique.

Elle avait vécu des jours d’enfant paisibles au rythme de la nature, des jeux et des apprentissages. Et puis un jour, elle était devenue une femme. Elle avait douze ans et on lui avait choisi un mari. Il en avait seize.

Son mari, elle l’avait aimé dès qu’on le lui avait présenté. Il était très beau, très fin ; il était très doux et contrairement à beaucoup d’autres garçons du village, il était très gentil et attentionné avec elle.

Très vite, ils avaient rêvé d’ailleurs où ils pourraient vivre heureux. Très vite, cet ailleurs s’était appelé « la France » et c’est ainsi, qu’à quatorze ans, elle avait rejoint sa tante dans une banlieue française, avec son mari.

L’acclimatation avait été un peu difficile, mais elle était courageuse. Son Afrique natale, ses sons, ses bruits, ses odeurs lui manquaient. La ville était violente, un patchwork de personnes qui se croisent sans se voir, sans se parler, des mondes parallèles qui cohabitent. Elle avait fini par s’y faire.

Son mari travaillait : des petits boulots peu gratifiants mais qui leur permettaient d’élever leurs filles. Une, deux, trois, quatre puis cinq. Il avait fini par la quitter : il voulait un fils.

Elle n’avait pas pleuré, il ne lui avait pas beaucoup manqué : il avait tellement changé en changeant de continent.

Elle s’était alors mise à travailler pour offrir une belle vie à ses filles. Elle était souvent très fatiguée mais elle était fière et heureuse de les voir s’épanouir, rire et grandir. Jamais elle ne se plaignait car elle voyait ce que la vie lui apportait et non pas ce qu’elle n’avait pas.

Et aujourd’hui, elle marie sa fille. Elle est heureuse, elle est fière et elle sourit, un sourire qui la résume et qui ne l’a jamais quittée, un sourire comme une victoire.

 par Virginie

 

 


Le prince russe




Je le croisais toujours dans le même quartier, près du square Olivier, il avait l’air d’un prince russe en exil.

Regarder le visage des passants que l’on croise dans la rue, ce n’est pas si facile : des images qui disparaissent  dans le brouillard, les traits déformés des visages dans les nuages.

On peut même douter de la couleur des yeux des personnes que l’on côtoie presque chaque jour.

Lui, c’était autre chose. Il captait le regard, ses yeux vous traversaient et c’est vous qui vous sentiez fantomatique.

Je ne l’oublierai jamais, trente ans après je ne l’ai pas oublié.

Je n’étais alors qu’une jeune fille à la jupe écossaise et j’aurais frémi s’il m’avait seulement dit un mot en passant.

Il était grand, blond argenté et son regard pénétrait jusqu’à l’âme.

Il y avait dans le quartier un coiffeur à l’ancienne, qui faisait aussi barbier, avec blaireau, savon moussant, et tout un tas de lames effilées.

L’inconnu s’arrêtait parfois devant la vitrine et j’osais regarder longuement son reflet. Un jour je lui découvris une cicatrice à la base de la nuque, une cicatrice comme celle des arbres blessés, j’aurais voulu la toucher.

Si je passais une semaine sans le croiser, j’avais très peur qu’il n’ait quitté la ville.

Le soir, étendue dans le noir j’inventais sa vie : il avait une sœur de mon âge, là-bas dans un pays de neige. Il avait dû fuir car il était accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis. Ou bien sa famille ruinée l’avait forcé à épouser une femme riche qu’il n’aimait pas. Il avait obéi mais s’était exilé le lendemain de ses noces…Non, sordide, il méritait mieux.

Le lendemain, cela recommençait. Je remettais ma jupe écossaise, celle que je portais quand je l’avais vu la première fois et je marchais interminablement, indifférente aux crissements des pneus et aux hurlements des sirènes.
C’était l’automne 80.
 
Trente ans plus tard je reconnus son visage sur la page d’un journal que lisait mon voisin alors que je revenais en train vers Toulouse.
 
 
-J’aurais vraiment dû écouter mes rêves d’enfant et devenir pompier -Dit le voyageur en reposant son journal sur la banquette – On trouve dans les journaux des histoires incroyables, alors pourquoi ne pas suivre ses rêves ? 
- Vous permettez ? Dis-je en tendant la main vers le journal.
- Faites, faites. Dit-il, visiblement déçu.
Il aurait peut-être préféré que je lui parle de mes rêves d’enfant.
Je parcourus quelques lignes, les titres en gras, retardant le moment de retrouver l’image reconnue.
«  Les incidents vont crescendo dans la banlieue de Perpignan »
« Suicide d’adolescents : le professeur Alajio expose ses analyses »
Enfin, page quatre, j’y étais. C’était bien le même visage, vieilli, ridé, mais les yeux restaient source claire malgré la mauvaise qualité du papier. Sous le vieux visage transparaissait le visage du souvenir.
Le cœur battant, je découvris un nom, le sien sans doute : Finsolora Albert.
Fin du prince russe.
Je levais les yeux, allais-je poursuivre cette mise à mort ?
Je regardais à travers les vitres du wagon, ces vitres où autrefois on était prévenus qu’il est dangereux de se pencher au dehors. Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum orangé de la banlieue de Toulouse.
Le train était lancé sur ses rails comme une histoire sans détour.
Le prince russe de mes rêves d’adolescentes poursuivi par la fuite du temps sur les rails d’acier, accusé d’usurpation d’identité, de faux destin, de lâcheté romanesque, de promesse volée, accusé de délit d’image.

                   Claude, Automne.






 On l’appelle la femme au serpent.
Elle le porte comme un collier, une parure unique, un trophée de guerre. De quel combat sort-elle diaphane et comme un phare à la fois ? Elle a fait des kilomètres à pied, dans les bois, sur des bateaux de clandestins avant d’arriver en France et cette lourde fatigue se lit dans son regard de verre.  Leurs yeux jaunes à tous les deux sont jaunes et hypnotique ! Ils ne peuvent pas être humains.  La sauvageonne ne présente qu’avec  cette  bête qui l’enlace amoureusement.  Les écailles vernissées du serpent  se marient avec son tatouage sur l’épaule … où s’arrête l’animal ou démarre les pigments d’encre. Cette fresque raconte son histoire mais indéchiffrable dans notre langue. Qui est la mue de l’autre ? Peau blanche de lait, on en mangerait  elle est irrésistible comme la pomme pour la première femme divine. D’ailleurs son corps est croqué par d’autres.  Dans la vie elle est modèle aux étudiants des beaux arts … mais elle ne pose jamais seule son serpent l’accompagne comme un amant jaloux. Elle n’est jamais nue, un rien l’habille son boa en chair et en os autour du cou. Elle est de passage pour quelques temps dans la région, déesse descendue tout  droit du jardin d’Eden et ses plaisirs interdits. Demain elle n’aura pas laissée de trace, remontée directe au paradis. Son nom de scène est Snake Eve. 
par Sylvie 



DÉJÀ AU LOIN, LA NUIT SE TEINTAIT DU VELUM ORANGE DE LA BANLIEUE DE TOULOUSE.
C’était un soir de juin, nous avions pris l’habitude de nous donner rdv sur les berges de la Garonne pour profiter des couchers de soleil tardifs et écarlates. Il faisait bon se retrouver sur les berges de la daurade ou du quai de Tunis, dans cette bande de terre délimitée par les épais murs de brique  relarguant la chaleur du jour emmagasinée et Dame Garonne immense dont fraîcheur de l’eau remonte par vague. On se laissait prendre dans un doux va et vient de  chaud froid, type machine à laver qui vous lave la tête face baignés encore de soleil tardant à faire sa révérence.
Beaucoup de jeunes gens profitaient de cette atmosphère de plage à la ville   pour jouer de la musique sortir timidement les bikinis pour se faire mordre par les derniers rayon de soleil ou encore pique-niquer entre amis.
 Parmi les corps alanguis, une jeune femme attira mon attention  avec un insolite de déjeuner sur l’herbe. Comme ses voisins, elle avait étendue une natte sur la berge et prenait le soleil, mais dans le plus simple apparat avec comme seul amant à ses cotés,  mais non des moindres, un serpent enrôlé à son cou. Quelques hommes se tenaient assis, l’air très absorbé, absolument pas distrait par les formes parfaites de la jeune femme. A coup de fusain, ils reproduisaient tant bien que mal ce nu qui posait là habillé de son boa en chair et en os pour seul accessoire féminin.  Elle portait le serpent  comme un collier, une parure unique, un trophée de guerre. De quel combat sortait t-elle diaphane et à la fois notre soleil de ce soir. Son regard était lourd de fatigue, figé comme du verre et si lointain.  Sa couleur m’interpellait. Ses yeux étaient  jaunes et hypnotiques en accord avec ceux du reptile ! Ils ne pouvaient pas être humain ces deux là.
La  bête l’enlaçait  amoureusement.  Les écailles vernissées du serpent  se mariaient avec son tatouage sur l’épaule … où s’arrêtait l’animal ou démarraient les pigments d’encre. .. Qui était la mue de l’autre ? Timidement je m’approchai de cette princesse  d’un autre monde et lui demanda ce que représentait  cette fresque sur sa peau.

J’AI MIS QUELQUES SECONDES A BIEN SAISIR LE SENS DE SES PAROLES.
Elle parlait avec un fort accent slave et me fit comprendre que ce dessin racontait son histoire et progressait au fur et à mesure de ses escales. Elle était arrivée en France voilà 3 ans fuyant des conditions de vie misérable dans sa ville natale. Elle a fait des kilomètres à pied, dans les bois, sur des bateaux de clandestins avant d’arriver à Marseille puis remonter en stop jusqu’à Toulouse.  En fouillant du regard ce méandre de couleur, on distinguait des chemins, des personnages égarés … beaucoup d’encres sombres aux couleurs froides traduisant son errance puis par endroit des tons chauds jusqu’à  du rouge vif symbole de la chaleur et du bon accueil qu’elle avait trouvé dans la ville rose.  En laissant descendre mon regard de son épaule a ses reins, je me laissais captiver par la diva et le reptile. La situation aurait pu paraitre du vulgaire voyeurisme de la part d’un inconnu et pourtant elle restait assise,  avec un naturel désarçonnant,  devant moi qui la mangeais des yeux et tous les autres autours. D’ailleurs son corps est croqué par cette troupe rapprochée.  Aujourd’hui  elle était modèle pour les étudiants des beaux arts et vivait des cachés de ses pauses… plusieurs sessions par semaine parfois par  ici en plein air souvent en  remontant les quais directement dans les salles d’étude … elle complétait son temps chez des particuliers, soit disant férus de dessin, qui devaient la retenir dans leur lit une fois le croquis terminé voir bâclé.
Je ressentis à ces suspicions une vive douleur au plexus … cela faisait horriblement mal et brulait … le feu intérieur de la jalousie venait de se déclarer … Je venais de comprendre que cette fille me plaisait terriblement et que j’avais envie de la revoir en d’autres circonstances. J’AURAIS VRAIMENT Dû ÉCOUTER MES RÊVES D’ENFANT ET DEVENIR POMPIER pour me sauver de cette situation. Défaut d’un casque et de la lance à eau, je pris mon courage à deux mains et  lui demanda  sa carte d’artiste. A la barbe des autres elle me tendit  un message ….
SNAKE EVE – Modèle vivant académie des beaux arts, 
38 Quai de la Dalbade – 06 84 63 48 25  
par Sylvie

 

 

  d’après le travail photographique des Artistes invités : Shoji Ueda, Frank Horvat, Jean-Baptiste Huynh, Isabel Muñoz

 

 

  Quelques pages écrites le 14 septembre lors des Portes Ouvertes de la Médiathèque de Réalmont...


Ecrire, c'est...

Ecrire, c'est raconter
Ecrire, c'est inventer 
Ecrire, c'est se laisser aller à oublier ou à se remémorer 
Ecrire, c'est vivre avec le recours des mots ce que l'on n'a jamais osé 
Ecrire n'est pas toujours facile.
Parfois s'imposent des mots que l'on voudrait éviter.
Parfois les mots ne viennent pas, ils sont cadenassés.
Parfois les mots coulent de source, et dans ce cas, écrire, quoi que disent ces mots, c'est jubiler...
par Janine
 

 

                                   Gaston et le rugby

      Qu'est ce que c'est que ce machin, ovale, pointu aux deux bouts ? Un ballon ? Pfff ! Un ballon, c'est rond. Que va - t 'il encore inventer ? J'en ai les bras qui tombent, le dos qui se voûte, la mèche en bataille... Ma première gaffe a été de me lever ce matin. Même ça, l'heure de mon réveil, je n'en décide pas. Quelle vie ! Elle n'a pas fini de rire, la mouette, quand elle va me voir taper dans ce fichu ballon. On tape où, d'ailleurs ? Sur les pointes ou au milieu ?
      Mais … pourquoi il me met le ballon dans les mains ? Ah ! Parce qu'on en joue essentiellement avec les mains... depuis qu'un joueur anglais a eu la lumineuse idée  de chiper le ballon aux joueurs adverses et est allé le poser entre leurs buts à la main ! Pfff! Courir ! Je suis fatigué rien que d'y penser ! J'ai sommeil, moi ! IL m'a réveillé trop tôt pour satisfaire sa lubie ! Je n'y suis pour rien si sa mère n'a pas voulu l'inscrire au club de 13 quand il était petit au prétexte que les joueurs adultes avaient des cous de taureau et des cuisses en béton. Moi non plus, je n'en veux pas d'un cou pareil et de ces cuisses-là ! Seulement voilà, je sais que lorsqu'il a une idée en tête il ne la lâche pas. Alors finissons-en, que je puisse aller faire ma sieste dans le placard aux archives. Donc, tu veux que j'en fasses quoi, de ce ballon ? Que je fasse une passe ? Mais à qui ? A Mademoiselle Jeanne... D'accord... Psttt !!! mademoiselle Jeanne ! Attrapez ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Vos lunettes ! Ouf ! Elles ne sont pas cassées ! Et la mouette qui rit ! Arrête de te moquer de moi ! A chaque planche tu te moques de moi ! Tiens, attrape ! Ratée... Tu ne pers rien pour attendre...
      AÏE ! Qu'est-ce qu'il fait sur mon chemin, ce bureau ! Et voilà, l'ordinateur est par terre ! Fantasio va encore râler ! Comme toujours ! Tant pis. Finalement, il est rigolo ce ballon. Il me plaît. Je vais tenter un panier dans l'abat-jour. Je peux bien inventer un nouveau sport, il n'est pas nécessaire d'être à Rugby pour avoir des idées originales ! Chouette ! J'ai réussi ! Pfff ! Zut ! Franquin exagère toujours ! J'ai logé le ballon dans le chapeau de Monsieur Demaesmaker...

      Mademoiselle Jeanne rit jaune. Gaston est très gentil mais ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle Lagaffe. Il a une drôle de façon de lui faire la cour. Tout à l'heure il a failli lui casser les lunettes. Et ce n'est pas Franquin qui en est responsable. Il se plaint toujours, Gaston, que Franquin lui donne un mauvais rôle à jouer. Mais elle l'a vu, ce matin, quand il est arrivé, Gaston, l'oeil pétillant. Il sifflotait. Il s'est répandu en commentaires sur le tournoi des Cinq Nations. Et son pull trop court dissimulait mal un ballon ovale. Il provoquait la Mouette Rieuse en lui disant : « Tu verras, quand Franquin va se mettre au travail, on va bien s'amuser ! » La mouette était inquiète, s'amuser avec Gaston, c'est excitant mais ce n'est pas sans risque...
      Effectivement, quand Franquin a vu le ballon que Gaston avait mis bien en évidence sur son bureau, il n'a pas résisté ! Son imagination débridée a fait le reste !
Voilà comment Gaston Lagaffe a fait ses débuts dans le rugby.

par Janine

 

 

Un samedi après-midi

           Samedi après-midi, un doux soleil perça la brume. Il était temps ! Il avait froid. Il s'était réveillé en sueur au milieu de la nuit et pourtant, depuis, il était glacé. Les Amants de Feu avaient occupé son esprit. Souvenirs prégnants de sa jeunesse envolée. Souvenirs d'un temps heureux.  Cela n'avait pas été un divertissement, ils s'étaient aimés. Véritablement. Ils n'étaient pas entrés dans le dictionnaire comme ces amants maudits que le sort avaient séparés. Ils n'étaient pas Tristan et Iseut. C'est le temps qui les avait séparés. Insensiblement. L'usure. L'habitude. La répétition.
           Le point final avait été mis un par samedi après-midi semblable à celui-ci. Un samedi après-midi où un doux soleil avait percé la brume de la fin de cette semaine-là, la dernière. Il voulait garder la meilleure part de leur histoire. Que le passé ne ferme pas l'avenir. Sans se bercer d'espoirs illusoires. Cependant, la part irrationnelle de son être intime croyait en la transmission de pensée. Une pensée créative. Qui l'atteindrait, où qu'elle soit. Qui mettrait fin à cette forme d'exil volontaire qu'il vivait chaque année le samedi après-midi le plus proche de la date triste dans ce chalet au bois gris. Qui la pousserait à revenir à l'endroit même où elle lui avait annoncé, des années auparavant, de sa voix la plus douce : « Tu sais, je vais partir. Il le faut. Pour moi. Pour toi. Pour nous. Mais je n'oublierai jamais les Amants de Feu, ainsi que nous nous appelions lorsque nous nous sommes rencontrés... »
           Elle avait pris son sac, déjà prêt, depuis quand il ne savait pas, avait ouvert la porte, descendu les marches, agité la main sans se retourner, dans le doux soleil qui perçait la brume.

par Janine

 

 

 

 Bages 

"écrire en mai", une rencontre dédiée aux ateliers d'écriture est proposée chaque année par l'association Porte-Voie, nous avons toujours grand plaisir à nous y rendre et émerveillées par les textes qui en découlent.

 


Un tableau a disparu…



En présence:

Mr Aubry de la Martinière,  conservateur

Inspecteur Le flanc et brigadier Lepinceau de la section VDA (vol des œuvres d'art)



- Inspecteur Leflanc, j'inspecte, je veux des faits précis

- Le tableau, Mr l'inspecteur est un diptyque

- Un quoi?

- Deux tableaux en un, à gauche les anges, à droite du coton, du blanc

- J'inspecte. Un tableau a disparu, pas deux

- Un diptyque, Mr l’inspecteur, ce sont deux tableaux qui n'en font qu'un. L'artiste Séraphin Céleste y tient.

- J'inspecte. Un artiste, donc, fabrique deux tableaux et dit :"il n'y en qu'un". C'est quoi ça?

- Voilà, je vous explique.

Format 80 cm de largeur sur 2m de haut chaque toile; toile de lin blanchie au gesso ; toile de gauche, ailes d'anges, rémiges de colombes signe du saint esprit collées à la gomme arabique bio; le chasseur, juste un concept; ciel blanc acrylique étalé à la brosse plate de 30 mêlé à du fructose car rien n'est trop beau ni assez édulcoré pour le divin.

Toile de droite ; même format donc, même fond; coton suggéré par des lambeaux de voile de mariée, des robes de baptême du siècle passé, accumulation de dentelles anciennes comme dans les reliquaires. Beaucoup de douceur et de caresses.

- Inspecteur Leflanc,  je vous rappelle que j'inspecte pour un vol et non pour des caresses Je veux des faits précis. 2 m de hauteur! Comment sortir des tableaux comme ça sans être vu?

- Ces toiles ne sont pas tendues sur des cadres. Elles sont montées en kakemonos, à la chinoise ou la japonaise. Il suffit de les enrouler avec précaution autour du bambou noir de 5cm de diamètre, venant de la bambouseraie de Xiyaling dans le sud ouest du Sichuan. Ce noir végétal brillant oppose sa matérialité au blanc astral mat des panneaux. Le format vertical est comme un clocher gothique, une ascension, une échelle vers les limbes, un envol...

-Brigadier Lepinceau, je vous passe l'affaire, vous avez carte blanche.

Par Roseline





J'ai vu l'étang avec cette femme en deux morceaux: même pas du marbre: du toc, du stuc peint! Elle est creuse, et aussi écorchée que le mur derrière elle. J'ai dit une femme mais soit elle a un mont de vénus comme l'Everest, soit elle une foufoune style afro, soit c'est un androgyne si vous voyez ce que je veux dire, moitié sirène, moitié congre: une nouvelle petite sirène transgénique quoi!



Dans la mairie, avec la nouvelle élue, Aliénor Machin qui vient de Paris, ils (le service culturel) ont décidé de faire du moderne. Non pardon pas du moderne, c'était avant. Maintenant c'est du con, consensuel, non,  consenti, non pas du tout.

Bref, il y a quatre spots sur un mur qui envoient quatre taches blanches en face. Et attention, faut pas toucher. Le tout dans la pénombre. Si tu touches, ça sonne. Comme si on volait des lumières



Sur le banc de pierre, qui en fait est un sarcophage du 1er siècle en marbre de St Béat, le photographe a installé une vue hivernale urbaine. C'est un cliché argentique noir et blanc. D'une fenêtre on aperçoit une silhouette dans une rue déserte, une ambiance morose, une lumière anémique comme dans certaines gravures de Hopper. Est ce un symbole de la mort?



Jeunes et fringants, les ados gloussent devant la belle aux seins nus. C'est même pas une vraie. En plus elle est dans une grotte et doit se cailler.

- Madame, le cadre, il est  en or massif?

- Et les outils là, c'est pour la repeindre? Ils vont lui mettre un sous tif, hein madame?

- Allez salle 12, suivez-moi



Vers la rive, dans cette salle qui donne sur l'étang, ils installé un marbre comme s'il devait contempler l'horizon. En réalité il a le nez cassé. Seuls restent intacts un magnifique bras musclé et une lourde draperie où s'affrontent ombres et lumières.



Leur voix s'élèvent, ils sont vieux, ils voient, entendent mal. Il y a ceux qui expliquent ce qu'il faut voir à ceux qui ont des lunettes ou des cristallins artificiels fatigués. Il y a ceux qui répètent pour ceux qui sont mal appareillés ou dont les prothèses sont mal réglées et sifflent tout le temps. De toute façon, à part ceux qui sont en chaise roulante, les autres ont besoin de bouger. Alors même bénis par un évêque, ils partent avec les cannes anglaises américaines, tripodes et les déambulateurs.



Enfin presque, c'est presque un musée. Un Picasso des années 30, mais c'est tout. Au dessus de l'extincteur, ce sont les consignes de sécurité. Dans la salle du fond un père joue avec son enfant comme à la plage.



La ligne de départ est fixée. Sur ce démon-gardien de l'île des immortels, on a déjà suspendue l'étiquette. Et oui, il peut faire la moue ce pauvre gardien. Il ne fait plus peur à personne. Et voilà, JN 128, n° de réserve, 2ème sous sol, section antiques asiatiques



Fixant les boules, oui c'est ça, fixant les boules, le déménageur se demande comment suspendre le tableau. La tête du personnage de Latour Fait de même. Pourquoi me change-t-on de salle, J'aimais bien mon petit Vermeer, Ma petite Ménine. Je m'étais bien habituée à eux. Oh! là! là, je suis très inquiète. Je crois qu'on m'a peinte pour un particulier. Lors d'une expo, un arlequin plus jeune que moi de trois siècles m'a dit que maintenant les peintures s'accrochaient dans de grandes maisons où circulaient des foules de gens. Vous ne le savez pas mais depuis ce jour j'ai toujours eu un musée imaginaire caché sous mes paupières. Insaisissable, je l'emmène avec moi.



Par Roseline









C'est l'histoire d'un musée

Pas sûr que j'aimé

C'est l'histoire d'un tableau, étroit et très très haut,

Absolument tout blanc

Avec rien dedans.

T'es sûr

Pas sûr

Deux rubans très très blancs

Tous dégoulinants,

Un inspecteur borné

Sans culture de musée

Avec juste un brigadier

Pour l'accompagner

Des gens intéressés

Ou désintéressés

Ou franchement dégoûtés

Des élèves excités

Des profs surmenés

Des œuvres indifférentes

Plus ou moins attirantes

Des trucs et des machins

Plus ou moins incertains

Bref un musée imaginaire

Trop lourd sous mes paupières

Sauf ce champ de coton

Léger comme un bourdon



Par Roseline

 

 

 

 

 

Mayronnes, sentier sculpturel

 

 

 

La rengaine d’approche

Est-ce l’appel de la nature ou celui du corps ?
Glugloutement de l’écho des sources au pied des fougères
Musique des mes pas maladroits roulent
Enivrés par la fragrance entêtante du chèvrefeuille
Déploiement délicat  sous le soleil
ses fleurs veloutées ou mon corps dégingandé ?
Affolement désespéré des alvéoles de mes poumons
A capter l’oxygène et l’air du temps
L’orchis des  près se dresse fièrement
Comme moi pauvre mortelle échappée de la ville
Je perds pied sur ce sentier
Hallucination sur sol raviné
Délire du corps et des idées  dénouées
Bourdonnement d’insectes dans mes oreilles ou dans ma tête ?
Seule la vigne centenaire m’apaise
Symbole de patience et maturité
Son cep  susurre cette petite musique :
 « Enracine-toi et profite un temps
Car ici le taon suspend son vol »

Par Sylvie


Je suis le passeur du val


Je suis le passeur du val

A la verticale du présent, à l’horizontal des Corbières.

C’est moi qui veille sur ce chemin sans issu…

A Mayronnes, la route ne continue plus

la garrigue joue des tours sauvages

et s’amuse à cacher les sentiers.

Je suis là depuis la nuit des temps.

Je suis le descendant des templiers.

Mon corps provient du bronze de leurs cotes de maille.

Je suis fin comme la lame de leurs épais et pourfend le vent.

Je reste là impassible  et ivre d’air pur.

Je veille sur cette crique végétale contre les assauts des hommes.

Contre leur  bêtise collective et leur folie urbaine.

Au voyageur humble et perdu, ma flèche indique la direction

S’il aime les 4 vents, le lavandin et les boutons d’aubépine,

Il retrouvera son chemin en écoutant ses sens

S’il fait parti des promoteurs, je brouille les cartes

Et les ondes telluriques de corps de métal jouent avec son GPS

Son étendard de  technologie devient fou

Et le perd dans les gorges du val.

Ivresse !  J’en vibre sous le mistral …

Alors toi, qui vient de croiser ma route

Qui es-tu ? Que cherches-tu ?

Sois clair avec toi-même

Ne triche pas avec le veilleur du val



Par Sylvie



Il porte le monde sur son dos
 

Il porte le monde sur son dos.

Depuis combien de temps est’ il parti ?

Erre-t-il seul sur ses terres arides de Corbières

Avec pour seul bagage ses souvenirs

Et sur son dos le léger fardeau de sa vie.

Il est déterminé à avancer

Et fait le point sur son itinéraire

Ou plutôt sur ses années de marche

A fuir l’intolérance des hommes.

Son corps est sec à force de tirer dessus

Comme un cep de vigne centenaire

Lissé par le vent et les intempéries

Griffé par les genets et les ronciers

Baigné par la rosée du matin

Parfumé par le chèvre feuille.

Sur sa route de solitaire

Il a croisé un drôle de vigile

Un veilleur sur la vallée intemporel

Inconnu de fer, face à l’étranger de bois

Mystère des éléments

Un rayon du soleil s’est reflété sur la lame de son corps

Et tracé la route à suivre pendant quelques secondes.

Et toi, voyageur endormi  à la croisée de leur chemin,

Sans rien dire tu as observé leur manège

Et  perçu cet indicible itinéraire des sens

Éclaircie soudaine dans l’errance de nos vies.

Surtout,  gardes toi de le répéter aux hommes,

A moins que tu ne veuilles finir perdu toi aussi.





Par Sylvie  



L’arche de Noé



De loin on dirait un squelette de baleine

Échouée sur ces plateaux des Corbières

Tout régulier en os de bois

Et refuge des insectes et herbes folles

A qui elle apporte un peu fraîcheur

Par quelle mer magique

cette bête s’est elle échouée  ici ?

A y regarder de plus prêt,

La barque a troqué le cétacé.

C’est l’arche de Noé

débarquée un soir de rayon de lune.

Mais, pas celle de la légende biblique

Elle n’a pas abrité le monde animalier

Mais une espèce disparue de fous et doux rêveurs

Des spécimens doucement mais surement dispersés

Dans la garrigue épaisse des Corbières.

Si toi, le voyageur, tu es bien attentif

Tu pourrais croiser au détour d’un sentier,

 un veilleur de fer se dressant vaillamment contre vents et marées

ou bien un vieil ermite portant sur son dos le fardeau de sa vie.

Capte leur âme et respire de tous tes sens

Ils t’aideront à trouver ta voix.
Inch’ Allah !

Par Sylvie


 

Gertrude

Gertrude, je m’appelle Gertrude. Et d’ailleurs, les autres aussi, m’appellent Gertrude. Je suis née, il y a maintenant quelques dizaines d’années, peut-être même pas loin de cent ans. De l’union de la terre et du feu. Ce fut un embrasement magnifique dont je garde encore les traces au fond de moi.

Lors de ma gestation et de ma jeunesse, de nombreux plans furent échafaudés. Cela dura longtemps. Toujours est-il qu’un beau jour, on m’a envoyée au charbon. Pour le bonheur des hommes, je fus promue entraineuse. Pas entraineuse de bas-étage, non, j’étais vouée à évoluer dans les hautes sphères. J’en ai entrainé, des mineurs, au septième ciel, vous pouvez me croire !

Mais il est arrivé un jour où je n’ai plus été assez efficace et on m’a mise au rencard. Ce fut une période sombre de ma vie. Je me suis retrouvée dans un cul de basse-fosse, reléguée, abandonnée, ballottée au milieu d’une foule très hétéroclite de résidus comme moi, oubliée par ceux qui m’avaient si souvent honorée. Mais c’est une histoire que j’ai maintenant réussi à occulter de mes souvenirs. Car, par une journée sombre et pluvieuse, un homme m’a tirée de là. Charly, il s’appelle.

Pour moi, en fait, ce fut une journée des plus radieuses. Enfin, on prenait soin de moi ! On s’intéressait à moi ! Il me sortit de cet antre sans fond où je m’étais retrouvée confondue avec cette fange dans laquelle je baignais alors. Au premier regard, je lui avais plu. Je l’avais vu tout de suite dans son œil qui s’était allumé dès qu’il m’avait repérée. Il s’était précipité, m’avait soulevée, extraite de ce bouge sordide. Il m’avait emmenée avec précaution jusqu’à son véhicule que j’avais trouvé paradisiaque, même si je me suis rendue compte par la suite qu’il était plutôt un peu vieux lui aussi.

Arrivés chez lui, Charly m’a immédiatement dorlotée, baignée, soignée. J’ai bien vu qu’il ne m’avait pas tirée de là pour me laisser croupir. Et ce fut féérique ! Je passerai sur toutes les belles choses qu’il m’a fait découvrir. Cela relève de l’intime ! Quand je fus remise en forme, astiquée, parée, il me fit connaitre les bonheurs des liaisons multiples. Là non plus, je ne m’étendrai pas, ma pudeur en prendrait un coup !

Depuis quelques temps maintenant, je vis avec un superbe costaud. Il a roulé sa bosse. Je peux vous garantir que c’est un dur. Il en a pris des coups ! Mais il n’en garde pratiquement aucune trace. D’accord, il est un peu rondouillard, je le concède. Mais quand je l’ai vu arriver, flanqué de ses deux loupiots presqu’aussi forts que lui et tout-à-fait son portrait, j’ai littéralement fondu à son contact. Et depuis lors, nous sommes devenus inséparables.

Par la suite, nous avons adopté une famille de quadruplés. Ils en ont vu de dures eux-aussi. Condamnés dès leur plus jeune âge à travailler la terre. Mais ils restent très discrets sur les malheurs qu’ils ont dû endurer.

Et maintenant, Charly nous a trouvé un lieu de villégiature on ne peut plus enviable. Dans les Corbières. Au milieu de nulle part. Sur la montagne. Avec une vue imprenable sur un paysage enchanteur de collines à la végétation méditerranéenne. Un petit village est niché au creux de la vallée. Un coin parfaitement tranquille. Mais pas complètement isolé du monde ! Non, nous voyons beaucoup de randonneurs qui passent nous voir dès le printemps et jusqu’à l’automne. Et l’hiver, nous redescendons dans la vallée, dans une résidence plus abritée.

Aussi, à l’occasion, passez nous dire un petit bonjour ! Vous ne pouvez pas vous tromper. Nous sommes au F. Oui, les numéros sont réservés aux petits nouveaux. Vous verrez, je suis le nez dans un bosquet de fleurs blanches. Nous faisons partie d’un village qu’on appelle
 «les tortues »…

Daniel, AE Flânerie de Mayronnes







 Alouette, gentille alouette

Les alouettes montent le chemin tortueux. Elles ont picoré tout au long du sentier des mules. Le soleil, même voilé, génère une touffeur oppressante qui exacerbe les fragrances sucrées du genet et du chèvrefeuille. Le gésier gavé de fragon et d’armoise.

Soudain, au-delà d’une ondulation du terrain, dans une crique végétale, une porte s’ouvre. Interdites, elles se regardent. Dans leur dos, le vrombissement aigu d’un puis deux, puis trois, non quatre énormes bourdons leur fait faire un pas vers cette béance inquiétante. Craintives, elles jettent un œil d’où elles sont, mais elles ne voient rien.

L’une d’elles, plus hardie que les autres fait un autre pas, immédiatement suivie par ses compagnes. Un escalier se dessine. Il monte ? Il descend ? Difficile à dire. Une sauterelle bondit et surprend l’un des volatiles qui bouscule celles qui précèdent. Elles sont maintenant à deux pas de la porte.

L’escalier descend, mais on distingue mal ce qui se cache au fond de cet antre. L’une s’écrie : « Regardez : l’île aux Tortues ! » Les autres écarquillent les yeux et finissent, par langueur peut-être, par acquiescer.

La douceur de l’air finit par leur procurer un réel bien-être, tout en leur laissant un arrière-goût d’irréel. De même, le crissement des criquets concourt à les rassurer.

Là-bas, tout au fond, n’est-ce pas un hérisson ? Un sourd murmure semble monter des profondeurs. Curieuse mais prudente, l’une des oiselles risque un pas sur la première marche. Puis un autre. Suivie par ses congénères. Elles semblent attirées par cette lueur, là-bas au loin. Elles progressent. Elles s’enfoncent. Elles ne font plus vraiment la différence entre sol et plafond. Descendent-elles ? Montent-elles ?

Elles aperçoivent bientôt d’autres alouettes qui se dirigent vers elles. Leur pas s’accélère. Elles ont hâte de les retrouver.

Au moment de les toucher, elles se précipitent tellement qu’elles font une embardée, s’écroulent les unes sur les autres et qu’elles se fracassent, dans un grand bruit de verre brisé, sur leur reflet désincarné.

Elles se retrouvent dans une prairie. D’autres portes devant elles. Enhardies par leur expérience, elles avancent et franchissent la première porte, puis la deuxième et continuent. Mais l’une d’elles a pris du retard. Et elle crie « Où êtes-vous ? » : Elles ont un peu d’avance, un porte d’avance… une porte… du temps !

Senteurs chevalines

Fragrance des genets

Douceur du bois coupé sous le pied



Daniel, AE Flânerie de Mayronnes


et notre petite équipe...








« Aujourd’hui est un bon jour pour entrer dans la légende »


« Aujourd’hui est un bon jour pour entrer dans la légende » s’est dit le python dès qu’il sortit du lac, en ce matin de printemps lumineux. Une brume légère s’évaporait  en nuages opalescents qui transfiguraient le paysage. C’était magique, il trémoussait ses anneaux au gré des vagues dorées,  transparentes et  légères .Je suis le maître du Lac, je suis le maitre,  c’est moi ! Je nage, je rampe, je grimpe dans la brume, sans effort ; il s’observait du haut de son corps étiré posé sur sa queue enroulée en un petit anneau tel une assise de tabouret. Ses yeux s’émerveillaient du paysage et de son altière figure. Impérial , c’est le qualificatif qui lui vint à l’esprit quand il regarda les gouttes d’eau du lac sacré étinceler  telles des perles sur les écailles de son long corps, un habit de cérémonie. Il est fait pour régner pensa t’il,  sur ce lac, et ses environs.

Comment y parvenir, à l’unanimité de tous et chacun, sans  soulever la moindre contestation de la part de tous les habitants du Lac, il est Birman certes, et la dictature est dans ses gènes,  mais depuis l’enfance il a lové au fond de son cœur un doute sérieux sur sa personne qui est réactivé  par mauvais temps : lorsque la tempête soulève les eaux  mêlées au limon noir , elle transforme  son corps  recouvert de boue en un vulgaire bâton noueux, et il panique, son égo rapetisse et il va se cacher derrière le premier rocher venu, c’est plus fort que lui, il ne maitrise pas la crise .
Python, Birman et Fragile, voilà son secret !
Il remplit ses poumons d’une grande bouffée de cet air si frais, le garde un moment dans son ventre et lentement pousse l’expire, il recommence et se sent envahi d’une profonde sérénité, l’espoir  pointa
Son nez …
Il voulut affiner sa technique : je recommence, je m’enroule, un tour, deux tours et je m’élève, son but immédiat devint de traverser le premier nuage de brume, il constata alors que pour se tenir droit, il n’avait pu s’enrouler que deux fois et lâchement il s’affala. Un bien piètre prestation pour un python royal ! Heureusement, aucun spectateur. Il prit une profonde inspiration, la  garda au fond de son ventre qui gonfla, puis dans l’expire se redressa en vrillant un peu plus, il rajouta un cercle à sa détente, puis retomba aussi vite dans un alignement improbable, mou ! Si je veux être royal, faut que je m’entraine ! Foi de python birman du lac.

Python replongea dans le lac, fit une petite brasse qui le détendit complètement et se redressa. Il mit tant de force qu’il se retrouva debout sur trois anneaux dressés, au dessus des flots. Merveilleux.
Il alterna respirations, nage et enroulements, un plaisir énorme l’envahit, il maitrisait enfin ses émotions et son corps.
Pendant son entrainement  il n’avait pas vu le banc de perches qui circonvenaient autour de lui, une trentaine de peureuses comme on les appelle dans la région du lac faisaient la ronde. Elles passaient à travers les ajoncs d’eau, soulevaient quelques algues harponnaient les moustiques, nageaient tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos, elles batifolaient à qui mieux mieux et se rapprochèrent de Python. Elles refermèrent le cercle autour de lui. Il ne pouvait pas les voir tant il remuait de l’eau en s’entrainant à se tenir debout.
Les perches et le python évoluaient sans se voir dans ce bouillonnant tumulte, chacun riant à sa manière dans cette aire de jeux.
Enfin mû par une énergie débordante et une confiance en soi exacerbée Python se redressa d’un coup enroulé comme un ressort au dessus du lac, les nuages en furent éberlués  et une troupe de corbeaux qui passaient par là applaudirent à tout berzingue. Python sourit,  se détendit  et plongea lentement pour profiter de son succès, et changer de coin, il pouvait entrer en campagne !
 Autour de lui flottaient ventre à l’air trente perches, les trente peureuses qui sont eu le souffle tranché net quand les anneaux se refermèrent sur  elles dans l’élan final.
Les corbeaux s’abattirent sur les eaux et se réjouirent d’un tel festin. Il avait ses premiers partisans, pensa t’il, mais les corbeaux se tirèrent aussi vite qu’ils étaient apparus,

Au bout d’un moment, n’ayant aucun spectateur pour admirer sa métamorphose il s’allongea, une petite sieste  me fera le plus grand bien.
Il se réveilla sous le coup d’une douleur intense, sa peau le démangeait, il sentit en même temps une petite odeur de roussi. La brume avait disparu, le soleil brulant commençait à attaquer sa peau tachetée ; il se redressa sur le côté pour éviter un rayon puissant qui le força à cligner des yeux pour observer  médusé les taches claires de sa peau se transformer en cloques prêtes à éclater : il était en train de cuire …. La magie changeait de camp !!! Il ne pu se glisser jusqu’à la berge, un petit plongeon l’aurait mis à l’abri de cette torture, lui le python birman maitre du lac, était en train de se transformer en saucisse grillée.
Où il y a un imposteur, il y a aussi des corbeaux ! 
Nadine, AE du 23 février 2013




On déménage encore des bouchons



C'est l'effervescence dans les entrepôts de la rue des Bulles.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, une série de détonations a réveillé le voisinage. Le centre d'appels du 112 a reçu une multitude de coups de fils affolés. Cinq voitures de police ont immédiatement été dépêchées sur place et la BAC (Brigade Anti-Criminalité) a été mise aussitôt en alerte.

L'entrepôt de la Société Royal a donc été cerné vers 1h30 du matin. Après avoir évacué les abords, les forces de l'ordre ont procédé aux sommations verbales sous le feu des projecteurs. N'obtenant aucune réponse, les projecteurs ont été éteints et les appels par haut-parleur ont continué à être lancés. Pendant ce temps et alors que les détonations retentissaient toujours, les hommes des forces spéciales, équipés de caméras infrarouge ont investi prudemment les lieux.

Un officier est bientôt ressorti en faisant signe que tout allait bien au moment où arrivait M. Sarko, le directeur des établissements Royal. Le dispositif a été rapidement levé par le commandant Typo, chef de la Police de la ville dirigeant l'opération, après un rapide entretien avec le chef de la brigade d'intervention. En effet, les détonations entendues par tout le quartier étaient dues en fait à des bouteilles de champagne stockées dans ce lieu en préparation des fêtes de fin d'année et dont les bouchons sautaient de façon inexplicable sous l'effet de la pression, anormale semble-t-il ! Pour l'heure -- est-ce à cause du manque de "munitions" ? -- les bouchons ne sautent plus. Les enquêteurs vont procéder à des analyses sur le vin incriminé pour tenter de comprendre l'origine du phénomène.

Par ailleurs -- mais est-ce vraiment une coïncidence ? -- un cambriolage s'est produit sensiblement à la même heure dans les locaux de l'entreprise Charlot, à quelques pas de là. Une source proche de l'enquête nous confiait que les deux affaires semblaient liées, la première étant destinée à faire diversion pendant que la seconde se déroulait. Les détonations auraient permis de couvrir le bruit provoqué par la fracturation des portes des bureaux visités.

D'autre part, alors qu'on déménage encore des bouchons et des bouteilles vides, les services sanitaires ont été dépêchés sur les bords du petit ruisseau qui coule en contrebas des entrepôts car des poissons ont été repérés au fil de l'eau, ventre en l'air. Rien que du gros !

Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant des suites de cette affaire.

Daniel  AE du 23 février 2013


Le tricot des cent ans




"Aujourd'hui est un beau jour pour entrer dans la légende." C'est ce qu'elle s'était dit en s'attaquant à son ouvrage. Et pour se motiver, car ça allait être un travail de longue haleine, elle avait punaisé la phrase en belle écriture anglaise -- elle savait encore l'écrire -- au-dessus du poste de télévision. Elle avait songé de prime abord, "au-dessus de la cheminée". Mais les temps avaient changé et, malgré ses 99 ans, la télé était venue se loger tout logiquement dans l'encadrement de la cheminée où, il n'y a pas si longtemps, elle faisait encore bouillir les légumes de la soupe du soir.



Les voisins s'étaient bien un peu inquiétés au début, mais ils la voyaient sortir pratiquement tous les jours en fermant soigneusement sa porte à clef pour aller au village. Mais qu'allait-elle chercher puisque d'habitude, un pain lui faisait plusieurs jours ? Quand ils venaient la voir, elle ne les recevait que sur le seuil de la porte et ne les laissait plus entrer. Elle gardait jalousement son secret !



Depuis des semaines, elle tricotait, tricotait, tricotait… Elle faisait varier les points, les motifs, n'hésitant pas à recommencer quand elle jugeait l'effet trop éloigné de celui qu'elle avait en tête. Elle importunait la marchande pour trouver les couleurs et la grosseur de fil de laine qui lui convenaient. Elle ne prenait pas souvent deux pelotes identiques. La plupart du temps, une seule pelote lui suffisait. Mais elle ne voulait jamais dévoiler le but de ses demandes. Aussi, les supputations allaient bon train ! Il y a quelques années, elle avait confectionné au crochet de petits personnages qu'elle enfilait sur des bouchons. Mais ses demandes n'avaient pas été aussi précises à l'époque…



"Elle ne fait quand même pas encore ses bouchons !" s'était exclamée la boulangère.



La bouchère avait rétorqué : "De toute façon, avec la crise qui frappe, les espagnols ne viennent plus !"



"Oui ! Et il n'y avait qu'eux pour acheter ces mochetés !" avait ajouté, non sans cynisme, la mercière qui, pour l'instant, n'avait pas été sollicitée par la vieille dame.



Et son anniversaire approchait. Bientôt, le village allait avoir sa centenaire ! La doyenne du canton si l'on excluait les pensionnaires de la Maison de Retraite ! Mais elle était originaire du village, elle ! Elle y avait toujours vécu ! Aussi le Maire avait-il décidé, soutenu par son Conseil Municipal, d'organiser une grande fête pour l'occasion. D'ailleurs, le 24 juin, cela tombait bien.



Les jeunes avaient été mis à contribution. Ils avaient quémandé, et récolté de bon cœur, un peu de bois chez les uns et chez les autres. D'autres en avaient également ramassé dans le bois Charlot. Si bien qu'ils avaient édifié un immense bûcher devant la maison de la vieille, à l'extrémité du village.



Le jour de la Saint Jean, toute la population avait participé au repas organisé sous la halle, tous convivialement réunis autour de la centenaire, après bien entendu les discours des personnalités, dont le Conseiller Général qui s'était privé d'une partie de pêche pour l'occasion. Et, bien sûr, les questions s'étaient bousculées sur le fameux ouvrage en cours. Mais elle avait rétorqué : "Vous le verrez bientôt. je vous le montrerai dès que les jeunes auront sauté les braises." La correspondante du journal local, après quelque hésitation et un coup de fil à son rédacteur en chef, avait décidé elle-aussi d'attendre pour pouvoir informer ses lecteurs car, cela se savait, la vieille femme préparait une surprise !



Les jeunes avaient vraiment bien fait les choses ! Ce fut un beau feu, un grand feu, un véritable feu d'enfer ! Les pompiers volontaires ne restaient plus que deux, les deux plus jeunes, pour la surveillance puisqu'un appel d'urgence avait envoyé leurs collègues sur un accident de la route à une quinzaine de kilomètres de là.



Aussi, quand des étincelles s'étaient posées sur le coussin du fauteuil que la vieille avait abandonné pour mieux voir, devant la maison, ce fut un peu la panique. Tout le monde se mobilisa, puis se bouscula pour tenter d'éteindre les flammes. Quand le feu prit trop de proportions, on dut évacuer les meubles et les choses de valeur. Et l'on vit brusquement sortir l'un des jeunes soldats du feu portant dans ses bras un objet volumineux. C'était un objet manifestement tricoté, mais un fil s'était accroché au passage et l'ouvrage se détricotait à chaque pas.



La vieille, que l'on avait prudemment écartée, aperçut tout à coup la scène. On dut la retenir fermement tandis qu'elle s'écriait en levant les bras :



"Mon Sarko ! Mon Sarkozy est détricoté !"



Ce n'est qu'après plusieurs heures d'efforts que les pompiers enfin revenus réussirent à circonscrire le sinistre. La centenaire, d'abord choquée, retrouva peu à peu son calme. La maison était malheureusement devenue inhabitable. Sa fille unique, présente pour l'occasion, la rassura en l'assurant pouvoir l'accueillir chez elle. Depuis la mort de son époux, elle se sentait d'ailleurs bien seule et ce serait avec plaisir qu'elle lui tiendrait compagnie. Un moment songeuse, la vieille affirma :



"C'est le moment de changer ! Je vais vivre plus librement en ville !"



Daniel  AE du 23 février 2013

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