Nous avons le plaisir de publier ci-dessous la nouvelle de Janine (atelier de l'UPT de Castres) lauréate du 3e prix du concours d'écriture Philémon, que nous vous proposions en début d'année. Toutes nos félicitations à Janine et bonne lecture à vous tous...
Fragments de
mes deux mondes
Devant la baie vitrée aux nombreux
carreaux enchâssés dans des boiseries vertes, nous attendons en chuchotant.
Lorsque la cloche a sonné, les garçons ont gravi les trois marches qui séparent
leur cour de la nôtre, c'est par celle-ci que l'on accède aux salles de classe.
Des rangs se forment, deux par deux, les filles devant, vêtues de blouses de
tergal bleu marine, bleu clair, beige, rose, il n'y a pas de couleur imposée.
Les garçons derrière. En blouse grise ou bleu marine, leur choix est restreint.
Des professeurs nous rejoignent, eux
aussi en blouse, grise pour le professeur d'espagnol qui arbore des lunettes
sur le bout de son nez et une mine de celui avec qui on ne plaisante pas. On
rit en douce de lui, surtout les filles : ne vient-il pas de répondre d'un
signe de la main à peine ébauché à une blonde aux longs cheveux perchée sur de
hauts talons qui lui sourit depuis la rue de toutes ses lèvres soulignées de
rouge... Ils sont jeunes mariés, elle est professeur au collège de Saint-A.
dans le département voisin, professeur de quoi, personne ne sait. L'important
est que G. le revêche est amoureux...
Le rang de la classe avec qui il
commence la journée s'ébranle pour rejoindre les classes en préfabriqué où il
fait horriblement chaud l'été, convenablement froid l'hiver. Elles ont été
construites près de l'école primaire de filles lorsque le Collège
d'Enseignement Général a été créé, comme dans beaucoup d'autres petites villes
de France, pour permettre à un plus grand nombre d'élèves d'accéder aux études.
C'est ainsi que j'ai pu « continuer » après le cours moyen et entrer
en classe de sixième.
Le rang conduit par le professeur de
physique à blouse bleue et à lunettes noires, plus jovial que son collègue
professant l'espagnol, dont le nom a déserté ma mémoire, démarre à son tour.
Suivi de près par le rang de « la M. », nommée ainsi avec un
« la » précédant son nom de famille, comme beaucoup de nos
professeurs femmes, (certainement par transposition de la tradition occitane qui
nomme les femmes en féminisant le nom du mari), par ceux qui roulent des
mécaniques et affublent nos professeurs de surnoms. Madame M. est professeur
d'anglais et de dessin et habite le logement de fonction au-dessus de l'école
primaire de garçons. Elle a passé un an en Angleterre, en a rapporté des
manières, est la seule à nous vouvoyer et à nous donner du Mademoiselle ou du
Monsieur suivi de notre nom de famille. Les professeurs hommes nous appellent
par un sec « Cauquil », « Enjalbal », « Roques »,
les professeurs femmes sauf Madame M. nous appellent par notre prénom.
Le silence est épais lorsque nous
sommes en cours avec elle. Les stylos plume avec pompe pour aspirer l'encre
bleue dans l'encrier Waterman à facettes, les règles, la trousse ou le plumier
en bois se tiennent coi sur le haut du pupitre. Malheur par celui qui
tombe ! Il peut valoir moins un ou moins deux à son propriétaire, à
défalquer sur la prochaine note. J'ai moins peur d'elle depuis qu'elle m'a
demandé d'apporter la reproduction du joueur de fifre de Manet, exécutée sous
sa houlette. Elle nous initie à quelques rudiments de culture dont je suis,
pour ma part, totalement dépourvue.
A sa demande, j'ai sonné à sa porte
un jour, après le repas pris à la cantine. Je lui ai timidement tendu ma
peinture. Elle allait prendre place parmi d'autres travaux d'élèves mis en
valeur par une marie - louise, restitués en fin d'année scolaire. Mon cœur
battait fort, j'étais fière, à travers ma peinture je me sentais choisie. Elle
m'a dit quelques mots dont j'ai oublié la teneur exacte mais ils parlaient de
mon travail scolaire, de mon avenir. A partir de ce jour où j'ai découvert que
Madame M. pouvait sourire et être cordiale, j'ai eu moins peur avant d'entrer
en cours avec elle.
Pour l'instant, toutes les classes
sont rentrées, il ne reste que la nôtre. La directrice est venue nous prévenir
que notre professeur de sciences naturelles aura un peu de retard, puis elle
est repartie. Le rang ne se défait pas. Des fenêtres de son bureau la
directrice pourrait nous voir, et quand bien même ce ne serait pas le cas, cela
ne nous viendrait pas à l'esprit.
Les bavardages, eux, vont bon train.
- Ah ! Ah ! « La Juva 4 » ( c'est le surnom donné à ce
professeur-là car elle se déplace dans ce modèle de voiture ) est en
retard ! -Sa voiture est si vieille ! -Vous avez vu que le clignotant
se tend comme un bras sur le côté? -Il paraît que c'est la voiture de son père.
-Elle vient de Brassac. - Non, elle habite à côté de Brassac, dans une ferme. -
Oui, et quand elle rentre chez ses parents, elle s'occupe des cochons ! -
Des cochons !!!
Et certaines de se pincer le nez
dans une grimace de dégoût.
Moi, je ne dis rien. J'écoute, comme
souvent, mes camarades de la ville. Pour la plupart filles d'ouvriers, promptes
à mépriser les filles « de la campagne ». C'est du moins ainsi que je
le ressens. Je me garde bien de leur dire qu'en ce lundi matin du mois de mai,
je me suis levée tôt pour partir dans la camionnette du voisin qui fait la
collecte du lait de brebis.
Certes, mon père, toujours prêt à
accéder à la modernité à condition qu'elle soit à la portée de ses modestes
revenus , a été le premier du hameau à acheter une voiture, rapidement
imité d'ailleurs par le voisin collecteur de lait.
La voiture de mon père est une
Chenard grise, aménagée en camionnette, qui lui permet d'effectuer quelques
transports d'animaux ou d'engrais pour la ferme. Elle se transforme le dimanche
en véhicule de transport en commun : les voisins attendent notre passage
sur le bord de la route pour pouvoir se hisser par l'arrière une fois que mon
père a abaissé la ridelle. Nous sommes
installés dos contre dos sur la banquette de moleskine rouge placée pour la
circonstance au milieu du plateau. Dix à douze personnes sont ainsi véhiculées
le dimanche ou le vingt et un de chaque mois, jour de la foire, sur les six
kilomètres qui nous séparent du chef-lieu de canton. Au retour, il faut ajouter
les miches de pain de deux kilogrammes chacune, les boîtes de sucre, les litres
d'huile, les paquets de café et autres denrées que les ménagères auront
achetées pour subsister pendant la semaine à venir pendant que leurs maris
auront échangé des nouvelles du temps, des cultures, du cours de la viande et
parlé de la marche du monde en sirotant un verre de vin, rouge ou blanc, au
café Bouisset.
Ils s'y rendent à la sortie de la
messe qu'ils ont suivie du fond de l'église, debout sous la tribune qui porte
l'orgue, tête découverte, le béret dans les mains croisées devant leur ventre,
bien campés sur leurs jambes. Les femmes et les enfants vont plus avant dans la
nef, sur le banc qui leur est réservé, plus ou moins proche du choeur en
fonction de ce que la famille aura payé au Denier du Culte. Notre banc se
trouve après la deuxième chapelle transversale dans la petite travée à droite
en entrant dans l'église, sous la statue de Sainte Bernadette.
Les emplettes terminées, nous
prenons le chemin du retour dans la Chenard grise, peu avant midi.
Un jour, un gendarme a donné l'ordre
au chauffeur, mon père, de ranger la camionnette sur le bas-côté avant
d'introduire sa tête inquisitrice par le hayon, resté ouvert à cause de la
chaleur tant extérieure qu'intérieure. Nous étions si nombreux qu'il s'est
exclamé : « Mais combien êtes-vous là-dedans ? » Nous n'en
menions pas large, mon père craignait un procès-verbal pour transport bien
supérieur au nombre de passagers inscrits sur la carte grise, et surtout
redoutait l'amende qui s'ensuivrait. Mais le gendarme a été magnanime, il s'est
contenté de faire quelques recommandations.
Mon père, donc, possède une voiture,
il n'en est pas peu fier et nous partageons sa fierté. C'est quand même autre
chose que la jardinière tirée par un cheval que conduit son beau-père, mon
grand-père. Une petite revanche sur le patriarche qui lui fait sentir,
consciemment ou non, qu'ici il est le gendre et que la terre ne lui appartient
pas.
Cependant, il est inconcevable que
mon père quitte le travail de la ferme, commencé de fort bonne heure, pour
m'emmener au collège à L., alors que le voisin est tout à fait d'accord pour me
transporter.
A mes compagnes de collège, je ne
dis pas que nous avons mis une heure et demie pour parcourir les six kilomètres
qui séparent mes deux mondes, en nous arrêtant dans toutes les fermes sur notre
parcours. Qu'arrivée à L., je suis allée me reposer en attendant l'heure de la
rentrée des classes dans la chambre minuscule qui m'est octroyée à l'hôtel,
situé à deux pas de la laiterie, où mes parents ont pu me loger, faute
d'existence d'internat au collège, en échange de légumes, de volailles et du
montant des bourses qu'ils perçoivent... Que chez moi, il y a des cochons dont
je ne m'occupe pas et des brebis que je garde pendant les vacances et les jours
de congé...
Lorsque j'entends leurs
commentaires, mon estomac est brouillé par un sentiment indéfinissable qui
réapparaîtra toutes les fois que, dans ma vie, je me sentirai tiraillée entre
le monde dans lequel je suis née et celui où « la poursuite de mes
études », au demeurant modestes, mais si importantes pour moi, m'aura
amenée à vivre...
Des exclamations fusent.
« La Juva quatre » est
là ! « La Juva quatre » arrive !
Oui, elles arrivent, la voiture et
sa conductrice affublée du même nom par je ne sais quel irrespectueux. Le
véhicule long et noir est garé le long du trottoir et notre professeur de sciences naturelles traverse la cour, son
cartable à la main. Les manches ballons de son chemisier rose dépassent de la
robe chasuble blanche qui cache ses genoux. Dans un sourire lumineux proclamant bien mieux que des paroles qu'elle
est heureuse d'être là, qu'elle aime son métier, qu'elle en est fière, elle
nous dit d'avancer.
Mon visage s'éclaire, j'avance, déjà
intéressée par la leçon qui va commencer... Plus rien ne compte, le poids au
creux de l'estomac disparaît, l'avenir me paraît plein de promesses ...
Janine D.
Nous avons le plaisir de publier en ces pages la nouvelle d'Isabelle (atelier de l'UPT de Castres) lauréate du 2e prix du concours d'écriture Litterathon, que nous vous proposions en début d'année. Toutes nos félicitations à Isabelle et bonne lecture à vous tous...
Je
suis un cri.
Un
cri primal, brut, violent.
Je
ne suis qu’un cri.
« Comment
vas-tu mon amour ? Bien dormi ? »
- Oui,
ça va merci. Et toi ? Ouch tu piques… »
Un
petit bisou sur la joue, un petit bisou au réveil, un petit bisou qu’on
voudrait tendre et doux, de ceux qui réveillent et mettent de bonne humeur.
Mais
pas moi.
Ne
pas traîner au lit, ne pas paresser ou alors je vais me rendormir, profiter de
la tiédeur de la couette, du moelleux du matelas pour prolonger cet instant
merveilleux, celui qui existe juste avant que ce p… de réveil ne sonne.
Je
suis debout, à chaque fois que je me lève, si tôt, je pense à cette chanson de
Cabrel « le jour se lève à peine, je suis déjà debout, et déjà je promène
une lame sur mes joues…. » Bon, c’est vrai, j’ai la chance de ne pas avoir
à me raser, moi, contrairement à mon mari. Mais c’est moi la première debout,
la première dans la salle de bains, parce que sinon, après, c’est la course. Déjà
que comme ça c’est suffisamment pénible, si en plus il fallait se marcher sur
les pieds, non….
Je
suis un cri.
Celui
que je pousse au fond de moi chaque matin.
Appuyer
sur le bouton de la cafetière, enclencher la bouilloire, chronomètre personnel
interne en route, j’ai quelques minutes avant que l’eau ne soit à température
pour le thé. Ça me laisse le temps de beurrer une galette de riz, de mettre un
peu de miel sur une autre. De me verser un verre de jus d’orange, de sortir mon
comprimé, de l’avaler, de vérifier que les enfants ont bien préparé leur ticket
de cantine, que les cartables sont près de la porte, que les blousons, les
bonnets et les écharpes les attendent sagement au porte-manteau.
L’eau frémit, c’est bon. La verser sur le thé dans la théière. C’est prêt depuis hier soir. Si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon. Enfin je trouve que si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon, plus amer. Chacun son goût, mais comme c’est moi qui prépare le petit déjeuner (comme tous les repas d’ailleurs…) c’est moi qui choisis. Privilège… petit privilège.
L’eau frémit, c’est bon. La verser sur le thé dans la théière. C’est prêt depuis hier soir. Si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon. Enfin je trouve que si l’eau est trop chaude, le thé est moins bon, plus amer. Chacun son goût, mais comme c’est moi qui prépare le petit déjeuner (comme tous les repas d’ailleurs…) c’est moi qui choisis. Privilège… petit privilège.
Dans
15 minutes, je dois avoir fini de manger.
A
la radio, j’entends le journal de 7h. Je sais que si je n’ai pas fini de boire
mon thé avant la fin des titres, c’est fichu. Je serai en retard. Après 3
minutes pour me brosser les dents, puis vérifier le maquillage, les cheveux,
que rien ne dépasse. Disons 1 minute pour le « coup d’œil dans la
glace-coup de peigne ».
Puis
je vais embrasser les enfants. La grande se réveille et se lève après mon
baiser. Pas le petit. Il est chaud, doux, tendre. On dirait une brioche qui
sort du four. Si je l’embrasse sur le haut de la joue, mon nez touche le bas de
sa tempe. Là, c’est son odeur. Je voudrais trainer, faire durer le bisou, mais
je ne peux pas, il ne faut pas. Lui a tellement de mal à ouvrir les yeux…
« Bonne
journée mon chéri.
-
Bonne nuit maman », dit-il dans un souffle avant de retomber endormi. Son
père le réveillera un peu plus tard, ils ont le temps.
Je pars. J’ai 20
minutes de voiture pour arriver à mon travail. 20 minutes pour me préparer.
20 minutes de
solitude, de calme relatif. 20 minutes pour me faire à l’idée qu’aujourd’hui
encore, je dois y aller.
Je suis un cri.
Le cri que je
pousse tous les matins dans le silence de ma voiture. Avant, j’écoutais la
radio, ou je mettais un CD. Avant, je m’ouvrais au monde, j’écoutais le
journal. J’aimais bien écouter le journal, surtout la voix de ce journaliste
sur France Inter, il avait une voix si chaude, si profonde, celui qui faisait
la tranche de 7h à 8h.
Je ne sais pas à
quoi il ressemble, en tout cas sa voix était magnifique. Alors oui, je sais
bien qu’on parle de « physique de radio », mais quand même, pour lui,
non, je ne pense pas, sa voix était tellement jolie. Mieux même : belle.
Et agréable, enveloppante, sensuelle, protectrice. Elle me disait « Réveille
toi doucement, c’est l’heure, l’heure de partir, de sortir de ton cocon ». Et moi
avec lui, je m’éveillais, je m’ouvrais.
Plus maintenant.
Maintenant, c’est le silence le matin. Ce silence je le garde précieusement, il
me protège. La seule chose qui le rompe, c’est le cri. Le cri que je pousse
dans ma tête et que personne n’entend.
Quand j’arrive,
je suis généralement seule sur le parking. La première. Ce n’est pas pour être
bien vue, c’est juste parce que j’ai besoin d’être seule quand j’arrive. Je
salue le gardien, c’est chaque fois la même chose. « Bonjour, vous êtes
bien matinale !
-
Et oui, que voulez-vous, il faut toujours un
premier. »
C’est toujours
moi la première. Ce matin aussi. Je descends, je prends mon sac, les documents
sur lesquels j’ai travaillé la veille au soir. Je rentre dans le grand
bâtiment. Le gardien de l’entrée m’attend, il sait par son collègue de la
barrière que j’arrive. Pas de secret ici, enfin, pas de déplacement secret, à
tout le moins.
Il me salue,
comme tous les matins, et moi, polie, douce, je lui réponds. Je suis toujours
aimable, toujours. C’est important. Même si j’ai envie de hurler, je m’exprime
posément, calmement.
« Bonjour
Madame.
-
Bonjour Pierre, comment allez-vous ? Pas trop dur
cette nuit ?
-
Oh non, vous savez, j’ai l’habitude. Y a encore
personne, c’est toujours vous la première ! »
Oui, c’est
toujours moi la première.
Ce matin aussi,
encore.
Je monte à mon
bureau. Oui, j’ai encore un bureau. Un vrai bureau pour moi seule. L’équipe que
je dirige, elle, est rassemblée dans un bureau plus grand, cela lui fait un
mini open space. Mon bureau est juste à côté du leur, une porte de
communication nous sépare. Et puis les cloisons sont si fines entre nous. Même
lorsque la porte est fermée, je peux entendre leurs plaisanteries.
Il y a Marion,
la jolie brune sportive, élancée, grande. Elle en impose à tous, même à moi.
Elle le sait, mais elle n’en joue pas, en tout cas pas avec moi. Pendant un
moment elle s’en est amusée avec Pierrick, le petit jeune de l’équipe, un petit
rouquin tout intimidé et rougissant mais bourré d’idées. Il ne sait jamais
comment les exprimer, mais quand il les met en place, elles sont toujours
révolutionnaires. Au début donc, Marion le chambrait, l’allumait même, ça
l’amusait de le voir rougir. Un jour je l’ai entendue lui dire « Quand la
chef est là Pierrick, tu es tout chose… Elle te branche ou quoi ? ».
Il a bafouillé je ne sais quoi, c’était totalement inintelligible. Et puis
Marion a continué en s’adressant aux 2 autres. « Faudrait quand même pas qu’il
se berce d’illusions, elle est imprenable ! ».
Oui, je suis
imprenable…. « Un vrai glaçon dès qu’il s’agit de la déconne, alors la
bagatelle, tu parles ! »
Elle en impose
Marion, parce que, elle, elle est prenable peut être.
Et puis un jour les taquineries avec Pierrick ont cessé. Ce jour là, il était seul à son bureau, je l’entendais pleurer. Lui, il pensait sans doute être au calme, il s’est laissé aller. Il pleurait doucement, timidement, comme ce qu’il est. Aline est entrée. Elle est gentille Aline. Gentille et dynamique. Un vrai feu d’artifice, un festival de couleurs à elle seule. Dans sa voix, dans son corps, dans ses gestes. Un pétillement. Et puis son accent, ah son accent ! Elle ne parle pas, elle chante. « Mais qu’est-ce que tu as petit ? C’est pas le travail quand même ? Faut pas te mettre dans des états pareils pour le travail tu sais, ça vaut pas la peine ! C’est Marion, cette grande gigue idiote qui t’ennuie ? Dis le moi, je vais lui tirer les oreilles à cette vilaine, ça va la calmer. Eh bé ? C’est quoi qui te fait pleurer des larmes comme ça que même les crocodiles ils en seraient jaloux ? C’est pas Marco quand même ? Il est couillon mais pas méchant tu sais ! Il parle tout le temps du cul des filles et des bagnoles, il se donne des grands airs, il conduit une voiture que je sais même pas comment il fait pour l’avoir aussi belle, on dirait une voiture de gros riche ! Je sais qu’on est bien payé ici, trop même parfois pour ce qu’on fiche, mais ça on va pas s’en plaindre, hein petit ? Mais quand même, sa bagnole, elle en jette ! Oui, il est couillon à se vanter comme ça, mais il est brave comme tout, sa femme, elle en fait ce qu’elle veut du beau Marco ! Alors ? C’est quoi qui te fait couler ces rivières ? Il va bien falloir que tu t’arrêtes de sangloter et que tu le dises à ta copine Aline, mon mignon !
Et puis un jour les taquineries avec Pierrick ont cessé. Ce jour là, il était seul à son bureau, je l’entendais pleurer. Lui, il pensait sans doute être au calme, il s’est laissé aller. Il pleurait doucement, timidement, comme ce qu’il est. Aline est entrée. Elle est gentille Aline. Gentille et dynamique. Un vrai feu d’artifice, un festival de couleurs à elle seule. Dans sa voix, dans son corps, dans ses gestes. Un pétillement. Et puis son accent, ah son accent ! Elle ne parle pas, elle chante. « Mais qu’est-ce que tu as petit ? C’est pas le travail quand même ? Faut pas te mettre dans des états pareils pour le travail tu sais, ça vaut pas la peine ! C’est Marion, cette grande gigue idiote qui t’ennuie ? Dis le moi, je vais lui tirer les oreilles à cette vilaine, ça va la calmer. Eh bé ? C’est quoi qui te fait pleurer des larmes comme ça que même les crocodiles ils en seraient jaloux ? C’est pas Marco quand même ? Il est couillon mais pas méchant tu sais ! Il parle tout le temps du cul des filles et des bagnoles, il se donne des grands airs, il conduit une voiture que je sais même pas comment il fait pour l’avoir aussi belle, on dirait une voiture de gros riche ! Je sais qu’on est bien payé ici, trop même parfois pour ce qu’on fiche, mais ça on va pas s’en plaindre, hein petit ? Mais quand même, sa bagnole, elle en jette ! Oui, il est couillon à se vanter comme ça, mais il est brave comme tout, sa femme, elle en fait ce qu’elle veut du beau Marco ! Alors ? C’est quoi qui te fait couler ces rivières ? Il va bien falloir que tu t’arrêtes de sangloter et que tu le dises à ta copine Aline, mon mignon !
-
Ben, tu sais, c’est ça…
-
« Ça » quoi ?
-
Je suis un « mignon »… Tu ne sais pas ce que
c’est ?
-
Non, pas trop. Ça, mignon, oui, tu l’es tout plein avec
tes grands yeux verts, tes taches de rousseur, tes cheveux ébouriffés, ta
petite silhouette fragile. Si t’avais pas 3 poils au menton, on pourrait te
prendre pour une fille et… Oh…
Les
plaisanteries de Marion sur Pierrick ont cessé depuis.
Un jour qu’il
n’était pas là, j’ai entendu Marion et Aline qui remontaient les bretelles à
Marco. Je souriais de les entendre dans mon grand bureau, toute seule.
« Ecoute,
sois sympa avec lui ! C’est quoi qui te gêne ? Avant de savoir qu’il
était gay, tu étais normal avec lui, et depuis que tu le sais, tu l’évites, tu
ne restes pas seul avec lui !
-
Il t’a fait des propositions ? Non, jamais !
-
Tu le sais bien qu’il ne t’en fera pas. Et puis arrête
ton délire ! Tu as vu comment tu es taillé ? Si tu lui retournes une
pichenette, il décolle !
-
A moins que tu n’aies peur parce que tu en as envie,
hein ? Tu te le ferais peut être bien le petit Pierrick !
-
Arrête Marion tu dis n’importe quoi ! C’est pas
ça, mais c’est bizarre, c’est tout. Tu sais Aline, il faut juste que je me
fasse à l’idée. En fait, moi j’étais content qu’il y ait un autre mec dans ce
bureau ! Je commençais à me sentir seul avec toutes ces femmes autour de
moi. Je me disais que je serai moins solitaire, qu’on pourrait délirer ensemble
sur le 95D de la jeune comptable qui rougit dès qu’on lui parle, qu’on
parlerait voitures, foot, qu’on irait boire des bières ensemble, draguer, jouer
au tennis…
-
Des trucs de mecs, de vrais mecs quoi ! Mais c’est
pas parce qu’il est pédé qu’il n’aime pas le foot pauvre cloche !
-
Oui, tu as raison… Je … je vais essayer de me faire à
l’idée. »
Marco s’y est
fait. Tout comme Marion et Aline.
Ils savent que
je sais. Nous n’en avons jamais parlé. Nous ne parlons jamais de nos vies
privées. Eux le font entre eux, mais pas avec moi. Pour eux, je suis la chef,
quand la porte est ouverte entre nos bureaux, je les entends parler, ils
plaisantent, ils ne se gênent pas parce que je suis là, mais jamais ils ne
m’invitent avec eux. Ils savent que je suis mariée, que j’ai 2 enfants. Ils les
ont vus à l’arbre de Noël. Tout comme je sais qu’Aline est grand-mère depuis
peu, que Marion change souvent de petit ami et qu’elle n’est pas pressée
d’avoir des enfants, que Pierrick a retrouvé quelqu’un mais qu’ils ne vivent
pas ensemble et que Marco sera bientôt papa puisque sa compagne blonde (à forte
poitrine selon Marion qui lui a un jour affirmé que c’était son seul critère de
sélection chez les femmes avec peut être aussi un gros cul, ce à quoi il a
répliqué qu’il était heureux qu’elle se rende compte qu’elle n’avait aucune
chance avec lui ) va accoucher d’ici un mois.
Tout ça, nous le
savons. Mais ils sont ensemble et je suis seule dans mon grand bureau
silencieux, dans mon grand bureau où je suis seule à crier.
Ils ne sont pas
encore arrivés ce matin. Je suis toujours seule. J’entends quelques portières
claquer au dehors. Le jour se lève. Pas de trace de nuages. Ce sera une belle
journée.
Une très belle
journée. De celles où on se sent des ailes, prêt à faire tout ce qu’on a déjà
reporté tant et tant de fois.
De celles où on
se dit qu’il faudrait arrêter de crier au fond de soi parce que ce cri
l’enlaidit, cette belle, si belle journée.
A moins de crier
une fois, une seule. Le laisser sortir de soi, le laisser remplir tous ces
silences. Ne plus se poser la question de le retenir.
Je ne sais pas.
Je ne sais plus.
Tant et tant de
choses encombrent mon esprit. Trop pour que je puisse y faire un tri.
Je suis seule
dans mon bureau mais plus pour longtemps. Ils vont bientôt arriver.
Aline rentrera
en criant « Bonjour chef ! » avec son petit sourire au coin des
lèvres. Elle aime ça, m’appeler chef, ça la fait sourire parce qu’elle sait
qu’elle pourrait être ma mère. D’ailleurs, elle à l’âge de ma mère. Puis ce
sera Marion ou Marco, selon les jours,
selon le temps mis à dégivrer la voiture ces derniers jours, c’est variable. Pierrick
arrive un peu plus tard. Il est souvent juste à l’heure, presque en retard.
Mais je ne dis rien. Il ne compte pas son temps, alors pourquoi lui reprocher
des broutilles ? Autant qu’il se sente à l’aise. C’est tout à notre
avantage. A tous.
Marco allumera
la cafetière, Pierrick aura apporté des chouquettes, ou des croissants ou des
cupcakes. En ce moment, c’est son dada. Il cuisine et nous en fait tous
profiter. Nous prendrons un café ensemble, réunion d’équipe pour faire le
point, papoter aussi un peu. Enfin, pour qu’ils papotent et que je les écoute.
Pour que Marco et Marion fassent le bilan des potins de la boîte.
Bientôt, dans
quelques minutes, ils seront là.
La journée sera
belle, ensoleillée, lumineuse, merveilleuse. Une si belle journée.
Il faudrait que
rien, rien, ne vienne la gâcher. Si j’avais un souhait à faire, ce serait celui
là. Que rien ne vienne l’abimer.
Que je garde
cette lumière en moi, comme l’odeur de brioche de mon fils, la douceur veloutée
de la joue de ma fille, les poils de mon mari qui piquent mes lèvres.
Que je garde le
goût du thé de ce matin, le sucré du miel dans ma bouche.
Ils vont
arriver. Je vois la voiture de Marco à la barrière. C’est étrange que ce ne
soit pas Aline la première. Avec ce gel si fort, elle a peut être eu du mal à
démarrer. J’espère qu’elle n’est pas malade. Je voudrais qu’elle soit ici
aujourd’hui, c’est important. Mais c’est mieux que ce soit Marco d’abord. Lui,
il ne criera pas, je ne crois pas.
Je l’ai vu une
fois, j’en ai entendu parler. Il suffit de 2 crayons bien taillés, affutés.
Placés au bord des narines. Il faut se pencher en avant, rapidement,
violemment. Il parait que c’est instantané. Le cerveau est tout de suite
touché. Et tout s’arrête. Je ne sais pas si j’aurai mal. Je sais juste que le cri
cessera.
C’est bien.
Je le fais. Tout
est prêt.
C’est mieux que
ce soit Marco le premier.
Voilà.
Je le fais.
Sur le thème : Melting'popote aux Ateliers du Pont des Demoiselles...
À partir d'une recette
Pomme, poire, abricot
Y en a une, y en a une
Pomme, poire, abricot
Y en a une qui est en trop
C'était par une nuit noire. On entendait au loin mugir le
vent et craquer les arbres.
Un hurlement! C'est le bruit du cochon qu'on égorge!
Un petit cochon, pendu au plafond
Il n'a plus sa queue en tire-bouchon
On a découpé et une, et deux, et trois et quatre côtes
On a épluché et une, et deux, et trois et quatre échalotes
Petit cochon d'or et d'argent,
Tu vas finir en rôtissant.
C'était par une nuit noire. On entendait au loin mugir le
vent et craquer les arbres.
Des gémissements, des pleurs...
Ce sont les larmes des abricots que l'on cueille. C'est qu'il
en faut pour faire 600gr.
Ah ce petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles, il en
faut bien un verre.
Et une et deux
cuillères à soupe de vinaigre
Et une et deux cuillères à soupe d'huile de noisette
Assaisonnez-moi tout ça
Giroflée, girofla
Poivre et sel
Sauge et soja
Par Françoise
Ça tourne au vinaigre
Pourtant ça avait bien commencé. Il était arrivé de bonne heure, avait
récupéré un peu de jus au coin de la cuisinière et il l'avait siroté doucement.
Il avait mis son grand tablier blanc, il s'était lavé les mains.
Il avait doucement préchauffé la poêle. Il les avait épluchés, émincés.
Les navets s'étaient laissé glacer sans résister... Mais quand le petit commis
a voulu les caraméliser, il s'est retrouvé chocolat. Le feu était trop vif. Les
navets ont cramé. Le petit commis s'est mis à pleurer. Ses larmes ont coulé sur
les navets brûlés. A ce moment là, le chef est arrivé. Il s'est mis à hurler, à
assaisonner son commis.
« Je vais te faire sauter, je vais te faire bouillir, je vais te passer
au chinois. Gâcher ainsi des petits navets tout frais. Dehors!!! Je ne veux
plus jamais te revoir! Et emporte-moi ça!»
Le petit commis est sorti, avec à la main la casserole encore fumante
de navets brûlés.
Il est resté toute la matinée, figé, devant la porte du restaurant.
Quand on l'a conduit à l'hôpital, il était traumatisé à jamais. Tout le
reste de sa vie, il est resté muet, muet comme une carpe, aux navets bien sûr,
aux navets brûlés.
Par Françoise
Ailleurs
rime pour moi avec meilleur.
Les odeurs, les saveurs, toutes les belles couleurs, c'est déjà la promesse
d'un voyage dans mon assiette. Perles de coco, feuilles de bambou, je pars en
Thaïlande, où ? C'est le pays des 1000 recettes. Les poêlons bien
culottés, en fonte, voient rissoler des crevettes et du poisson toute la
journée. Dans cette cuisine ensoleillée, le vert pistache des murs répond au
vert émeraude des feuilles de bananier. Pour une soirée aphrodisiaque, je
n'oublie pas quelques lamelles de gingembre dans le plat. Poulet, noix de
cajou, la farce du poivron est une ode aux parfums... Que ferais-je encore sans
coriandre, odorante et délicate herbe aromatique ? Exhalaison de saveurs
douces, peu sucrées, parfois pimentées, plus ou moins corsées, toutes très
riches et nuancées. Je cuisine aussi le bœuf, le crabe avec tout cela :
pour finir en beauté une belle flambée à l'alcool qui ravit les palais, qui
réchauffe sans trop enivrer. Je bois, également, la bière du pays, tantôt très
légère, tantôt âpre, gouleyante ou accrocheuse. Enfin, ce petit tour de mes
récentes découvertes ne serait rien sans un autre alcool, le whisky japonais,
cousin éloigné du malté écossais. Ses arômes terriens, peu iodés, me
réconcilient avec le whisky, que je n'ai jamais pu ou pas appris à apprécier.
L'alcool, je vois cela comme une friandise, même si la boisson est forte en
degrés et peu sucrée : c'est occasionnel, ça réchauffe, et il faut bien
doser les verres. Pour l'accompagner, quelques sucreries, pas forcément du
pays, qui favorisent les métissages... comme les douceurs savent si bien le
faire. Financiers, cannelés, éclairs, religieuses, macarons, tarte tatin ou
pêche Melba, quelques fruits secs autour d'un café, que ma mère sait si bien
faire, ni trop doux ni trop corsé.
Par Elise
A
propos de 3 recettes :
Je
n'en n'avais jamais goûté qu'au restaurant, le souvenir de cette pièce de
choix, au nom rieur dans l'étal léché du boucher. Le veau était rare à la
maison, j'ai d'autant mieux apprécié ce mets, à vingt ans passés, follement
bien accompagné(e). Dans une assiette en porcelaine bien chaude, le précieux
morceau moëlleux et savoureux, couvert de pommes de terre gaufrettes et nappés
d'une sauce à l'échalote. (ris de veau)
Comme
les fondations d'une maison solide, l'inamovible plat roboratif vêtu d'une robe
aillée, ourlé de persil finement ciselé, chaque dimanche, nous ré-ga-lait.
Rondelettes, grassouillettes, parfumées à l'huile d'olive, les mignonnes se
dévoilaient sous leur fine peau craquelée. Et, pour finir, la fleur de sel
éclatait au palais, ravivant leur texture amidonnée. (Pommes de terre ail et
persil)
« Jamais de beurre ni de sucre dans
celle-là ! » rappelait toujours maman en nous servant le fameux
dessert, le régal des fins de repas, l'extase des petits et des grands. En
voyant sa surface lisse, alvéolée par endroits, le plaisir d'y tremper sa
cuillère éclatante n'avait pas de prix : on y découvrait sa texture ferme
et soyeuse à la fois. La caresse de la cuillère sur la mousse avançait en
faisant des schhh et des vzzz extatiques. (Mousse au chocolat)
Par Elise
LÀ
OÙ ÇA PÊCHE !
C'était
à l'occasion des vingt ans de ma cousine, toutes les tâches étaient déjà
réparties et j'ai récolté de l'impératif apéritif... une plaie :
l'introduction des festivités, il ne faut pas s'louper. Comme décidément personne
ne voulait s'y coller, j'ai récupéré la recette ancestrale, transmise dans ma
famille depuis trois générations, comme les petits pois au pigeon. Voyez :
il me fallait trouver soixante-dix feuilles de pêcher. J'ai bien péché, je ne
savais où regarder ! Tonton Dédé, dans son joli verger et dans sa grande
bonté, me proposa de venir passer l'été chez lui. Je prendrais l'air, le soleil
et mes feuilles au moment opportun. Cet été-là fût remarquable : juillet
rempli d'un soleil éclatant, brûlant, et les inévitables orages d'août. C'est
sous un jour auguste que tonton m'aiguilla pour le ramassage des feuilles de
pêcher : une fois les fruits cueillis, mis en bocaux, on s'attela à
prélever, avec une minutie patentée, soixante-dix feuilles. Il fallait qu'elles
soient d'un vert homogène, pas dentelées et encore moins trouées. Je faisais le
tour du pêcher, perchée sur une échelle en bois rafistolée que tonton
déplaçait, moi debout sur la dernière marche.
« -Va
un peu plus sur ta gauche, là, il y en a une belle ! me cria-t-il.
-Je
suis trop loin ! Je penche, je vais tomber ! Ah... »
Virant
à l'oblique, les mains accrochées au dernier barreau, j'embrassai l'herbe avec
force. Bilan : une jambe cassée pour une fête bien arrosée.
Par Elise
Salade folle
« -Oh
mon chou, oh, t'es vraiment un chou, toi. »
Je
te lui avais mitonné une de ces belles salades dont moi seul ai le secret,
assaisonnée de belles herbes, de graines de grenades, d'échalote finement
émincée, de foies de volaille bien dorés et déglacés au Marc de Bourgogne...
« -Ne
me raconte pas de salade, mon canard. Pourquoi tant d'attentions si
soudaines ? Qu'est-ce que tu mijotes ? Se renfrogna-t-elle
subitement.
-Ma
cocotte, tu me fais suer avec tes rodomontades, si cinglantes, si crues, tu me
bats froid... qu'ai-je fait ? » Me défendis-je.
Cette
grue, fière et hautaine d'un seul coup, me coupa l'herbe sous le pied. J'y ajoutai
mon grain de sel :
« -Dis
donc poulette, faudrait voir à ne pas me les briser menu. Je te nourris, je te
régale, et toi tu me gaves.
-Rat !
Je me presse le citron toute la sainte journée au turbin et v'là le
bilan : une chouette soirée qui tourne au vinaigre, une de plus,
cria-t-elle.
-Tu
me fais bouillir ! Hurlai-je de plus belle. Grue ! Fière à bras !
Dinde ! Va donc, si tu te crois plus maligne, à faire partie du gratin
! ».
Je
tournai les talons pour attraper ma gabardine et partir, ras-le-bol d'attendre
le dégel.
Popote !
Perchée
dans le figuier, je ferme les yeux. Les abeilles, les guêpes bourdonnent autour
de ma tête, il fait chaud… Les feuilles comme des mains innombrables, j’aspire
leur odeur. Le fruit enfin, fendu, ouvert, offert.
Le
fruit comme une blessure.
Ca
rissole, ça frétille,, ça chantonne, ça exhale des senteurs délicieuses. Le
gras devient translucide, il fond dans la poêle. Jetons les pissenlits vite,
tournons et retournons et le jet de vinaigre.
A nous deux !
Je
l’ai devant moi, sur le plan de travail de la cuisine, le potimarron ? Il
est joli, avec son ventre bien rond, son museau effilé et sa couleur éclatante,
il joue les innocents mais je t’aurai la peau, potimarron !
Je
ferai de toi un gratin cuit avec des œufs, du gruyère et de la crème. Je te
parfumerai avec de la noix de muscade. Je te regarde, tu es tranquille sur la
planche à découper, tu es clos hermétiquement, ta peau luit doucement. Je pourrais te laisser sur le bord de la fenêtre, tu illuminerais
les jours gris de novembre, oui, je pourrais mais j’ai décidé de te manger. Je
te cuirai doucement avec des oranges et du sucre, tu deviendras confiture
sublime, acide et moelleuse à la fois. Hum…
Mais
avant, il faut que je te pèle, que je te coupe, que je t’épépine. Dans ma main,
le grand couteau en céramique que j’ai acheté l’autre jour et qui coupe si
bien. Je prends ma respiration, je fais le calme intérieur. Vas-tu faire riper
la lame sur ta peau dure comme du bois ? C’est ce que tu as fait l’autre
fois et tu as sauté sur le carrelage de la cuisine d’où tu m’as narguée, lisse
et luisant comme un potimarron innocent. Ta cuirasse a-t-elle un point
faible ? Je tiens le couteau fermement, j’en éprouve le fil, je vais
foncer, pointe à l’avant. Je suis prête pour l’assaut, je vois déjà ton ventre
ouvert, tes tripes fibreuses, tes semences inutiles et je ricane
intérieurement, ta chair s’attendrira enfin. Tu seras vaincu.
Par Geneviève
Douceurs entre copines
« Ailleurs
rime pour moi avec meilleur »Jamais
contente celle-là. Pourtant, je lui ai mitonné un pot au feu maison avec os à
moëlle et tout. Mais je m'en doutais. Quand j'ai cherché les recettes sur
internet, j'ai faillir choisir une recette de plat indien avec plein d'épices
bizarres. Je sais que ça, elle aime. Mais y'en a marre de tous ces gens qui ne
savent pas reconnaître ce qui est bon chez nous.
Un
pot au feu avec les carottes, les navets, les poireaux, les pommes de terre de
mon jardin quand même !
« Ailleurs
rime pour moi avec meilleur »
J'en
ai marre ! Celle -là, je ne l'invite plus !
J'aurais dû lui préparer un apéro aphrodisiaque avec plein de gingembre et tout. Elle aurait été un peu plus sympa peut-être.
J'aurais dû lui préparer un apéro aphrodisiaque avec plein de gingembre et tout. Elle aurait été un peu plus sympa peut-être.
« Ailleurs
rime pour moi avec meilleur »
Elle
n'a pas besoin de dire des choses comme ça. Et puis ailleurs c'est où ?
J'aurais
dû faire une farce avec du foie et du poulet. Je sais qu'elle a
horreur de ça. Au moins, elle aurait eu une bonne raison de faire des
réflexions.
Quand
je vais chez elle, c'est toujours chinois, indien, zoulou, zapothèque,
sénégalais,
Je
croyais pourtant lui faire plaisir.
Tant
pis, elle aimera peut-être mon baba au rhum. J'y ai mis au moins trois verres
d'alcool.
Si elle fait la grimace, je la fiche dehors !
Et
voilà, elle fait la grimace.
« Le
rhum, c'est quoi ? Du Negrita? Moi j'y mets toujours du rhum vieux de la
Martinique »
Et
bien non, moi c'est du Negrita. C'est celui-là qu'utilisait ma mère. Sûr qu'il
a des arômes un peu vulgaires mais au moins, on sait que c'est du rhum.
« Ah
les friandises du Maroc ! Quelle merveille! Tu as goûté
leurs pâtisseries ? »
Non,
j'ai pas goûté les friandises du Maroc. Elle m'énerve mais elle m'énerve !
Ça va finir mal.
« J'adore
les métissages culinaires. La cuisine d'ailleurs flatte mes papilles »
Je
t'en fiche moi, du métissage et des papilles. La prochaine fois, je lui fais
bouffer la pâtée de mon chat. Je lui dirai que c'est du pâté maison fait par ma
mère, une recette auvergnate.
Puisque
c'est d'ailleurs ça sera meilleur !
Par Françoise
Recette
réaliste du gratin de potimarron
Très
belle recette mais elle néglige une vérité, une vérité incontournable : le
potimarron résiste ! C'est sa nature. Douce et sucrée, sa chair se protège
dans une carapace presque infranchissable.
N'essayez
pas de le couper avec votre couteau habituel, vous casseriez la lame. Il vaut
mieux sortir votre hachette, celle que vous utilisez pour faire du petit bois.
« Jetez
le potimarron coupé en gros dès dans l'eau bouillante » Jeter le
potimarron, vous y arriverez, mais le jeter coupé en gros dés, ça m'étonnerait.
Moi, je n''y suis jamais arrivée.
Donc,
je ne jette pas le potimarron coupé en gros dés dans l'eau bouillante.
Non,
je le pose, entier, avec la queue, dans un plat en terre. Je mets un peu d'eau
au fond et je l'enfourne dans un four bien chaud. Il n'aime pas ça. Il
transpire, il sue. Comptez 30mn de sauna pour un potimarron de taille moyenne.
Quand
vous le sortez du four, il a abandonné toute résistance. La lame du couteau y
entre comme dans du beurre. Il s'ouvre. Avec une grosse cuillère, vous enlevez
les pépins. Puis vous râclez la chair. La peau reste dans le plat, vide et
ratatinée. Ne vous donnez pas la peine d'égoutter le potimarron, il n'y a rien
à égoutter.
Maintenant,
vous pouvez poursuivre votre recette de gratin. Le potimarron se laissera
faire.
Par
Françoise
inspiré des notes & des mots de Nino...
QU’IL FAIT BON LE DIMANCHE MATIN
SEULE TRANQUILLE
Tout est calme autour de moi …
personne ne bouge … quelle heure est-il ? Combien de temps ai-je devant
moi ? Seul un pale rayon de soleil qui perse à travers le volet trahit le
petit matin. Tulipe aussi sait qu’il est temps de déjeuner en grattant à ma
porte, seule âme éveillée dans la maisonnée ! Cette bête est un véritable
détecteur à ondes humaines, pas besoin d’avoir mis le pied à terre, elle
rapplique dès qu’on se tourne dans le lit ou mieux cligne les paupières … devin
le chat !
Bon chouette, tout le monde dors
autour de moi ce dimanche. Ma moitié à temps partiel ronronne, mes fils ne
bronchent pas encore au chaud dans leurs rêves d’enfants !
A moi de profiter ses quelques dizaines de minutes volées au temps présent.
Je me contorsionne comme un vers
pour m’extraire de la couette. Pas vue, pas prise ! Un ronflement plus
haut que les autres m’indiquent que mon plan d’évasion fonctionne. Dans ma
fuite, j’en ai oublié mes pantoufles au
pied du lit et le carrelage froid me fait l’effet d’une douche ! En bon
plantigrade qui sait décomposer ses mouvements j’essaie de poser au maximum un
orteil à la fois et être aussi légère que Tulipe … foutu chat, le voilà qui se
frotte à mes jambes, faisant de savants huit et me rappelant que je n’ai plus
d’excuse pour son petit-déj …. Je
m’empêtre dans la bête et vais m’aplatir dans le couloir. Pas besoin d’alarme
anti-intrusion, prenez un chat c’est un excellent piège à voleurs.
Ouf manifestement je n’ai
réveillé et progresse jusqu’à la cuisine en rasant les murs comme les évadés
des dessins animés. Première étape
réussie !
Epreuve suivante, se faire une
tasse de thé peinarde. A travers la fenêtre je jette un rapide coup d’œil pour
me convaincre qu’il est encore bien tôt.
Dehors les champs sont blancs de givre, une nappe de brume s’élève du
sol sous l’effet des premiers rayons.
Le sifflement de la bouilloire me tire de ma rêverie … il est
temps : Kusmi-Tea ? Marco polo ? Ou vulgaire lipton ? va
pour les notes épicées de prince Vladimir et s’imaginer au marché de Noël bruissant
de monde et d’odeur pendant que moi je me pose confortablement dans le canapé.
Formidable, j’ai tout pour
moi : le calme de la pièce et tout son volume paisible sans ado squatteurs
ni petits brâmeurs (Renault l’a bien
compris dans sa pub – le luxe c’est l’espace) , un thé fumant, de quoi lire et
même le chat en guise de bouillotte … de l’autre côté du mur , ils croient ce
qu’ils veulent, je m’en fou et je suis abonnée absente.
Je me détend en feuilletant des
magasines … tiens tiens un article sur Nino Ferrer qui a trouvé refuge dans le
lot … ça alors je pensais qu’il avait disparu de la surface de la terre depuis
longtemps celui-là. Mais c’est qu’il y a
pleins de photos de famille, de sa
guitare, de ses voyages, de ses peintures aussi… des morceaux de textes qui me
ramènent 20 ans en arrière. Je me laisse
bercer avec Alexandre, cherche moi aussi Mirza et ne veux pas répondre au
téléphon comme Gaston. Je glisse dans le canapé et glisse encore sur une autre
pente …
Tout d’un coup je me sens
observée par 4 yeux lourds au dessus de moi, Arthur et clément ont même les
traces de l’oreiller sur la joue et le culot de me dire « qu’est-ce que tu
fais, cela fait des heures qu’on est réveillé ! Quand est-c qu’on
brunche ? » … vive le dimanche familial !
SUR L’AIR D’ALEXANDRE
Qui
qu’a cassé notre rêve du petit matin
Qui
qu’à caché les pilules du sommeil
Qui
qu’a pas fait des pas de souris
Qui
qu’a le ventre qui gargouille
C’est
Tulipe,
C’est
encore ce foutu chat
C’est
toujours comme çà le matin,
Qui
voulez vous que cela soit
Qui
qu’est tombé sur la tête
Qui
qu’a fait tout ce raffut dans ma vie
Qui
qu’a mangé tout le chocolat
Et
qui c’est qu’a mordu mon amour propre ?
C’est
l’homme des bois
C’est
encore lui
C’est
toujours HH
Qui
voulez vous que cela soit
Qui
qu’habite la rue à deux pas
Qui
qu’a bu mon thé Mácha
Qui
qui s’est fait un bain fumant
Avec
sans gène
Ca
ne peut être que mon double
C’est
toujours cette part libérée de moi
C’est
encore le même qui me joue une partie d’échec
Ça
doit être un sacré filou !
par Sylvie
Pique nique à Montcuq
Sur la départementale 28, un
dimanche du mois d’août, vers 13h00, le soleil du Quercy sur nos têtes.
Nous embarquons dans la Ferrari
rouge flamboyant, les garçons, le chien Mirza plein de poils. Plus de place
maintenant dit en riant Nino ! Dans le coffre trop petit, les deux paniers
de pique nique où dépassent les deux Bourgogne.
Je nous trouve très beaux, une joyeuse
équipée. Allez Corto Maltese est reparti pour de nouvelles aventures! Tout
le monde chante dans le bolide qui prend toute la place sur la minuscule route
de campagne. C’est lui qui conduit ce sera moi au retour ! Moi je ne bois
pas j’attends petit « brin d’amour » c’est comme ça qu’il les appelle
nos bébés. Aujourd’hui Nino est de bonne humeur il a chassé ses vieux démons,
ses envies d’ailleurs jamais assouvies. Il a pris son air nonchalant que j’aime
tant, sur qui tout glisse... Mon dandy
blazé comme je l’appelle quand je veux l’enrager !
Il accélère, il sifflote son
dernier tube » Les cornichons... ».Crissement de pneus. Brutalement
la Ferrari s’immobilise. Secouée, je me tiens le ventre. Les enfants sont
presque passés devant, ils rient, crient : » Qu’est ce qu’il
ya ? Qu’est ce qu’il ya ? »
« Pardon » dit Nino à
mon adresse, faut que je retourne, les cornichons, j’ai oublié les
cornichons ! Un pique nique sans cornichons c’est comme un dimanche
sans messe, un cow-boy sans
bottes ! Une désabusion. J’y retourne immédiatement ! »
Par Marie-Claude
Qui qu’a cassé la voiture rouge de Nino ?
Qui qu’a caché les pipes en bois de Nino ?
Qui qu’a pas fait le café de Nino ?
Qui qu’a pris le métro sans Nino ? C’est Kinou
C’est
encore Kinou
C’est
toujours Kinou
Qui
voulez vous que ce soit ?
Qui qu’est tombé dans la confiture ?
Qui qu’a fait la
peinture ?
Qui qu’a mangé le
caviar mur ?
Et qui c’est qui a mordu la fourrure ? C’est Kinou
C’est
encore Kinou
C’est
toujours Kinou
Qui
voulez vous que ce soit ?
Qui
voulez vous que ce soit ?
Qui qu’habite la rue Mouffetard ?
Quo qu’a bu mon Pommard ?
Qui s’est fait un pétard ?
Avec un cigare? Ce ne peut être que Kinou
Avec un cigare? Ce ne peut être que Kinou
C’est
toujours Kinou
C’est
encore Kinou
Ca doit
être Kinou
Par Marie-Claude
J’aime,
J’aime pas le Dimanche
J’aime me
réveiller au miaulement désespéré de la chatte, ouvrir un œil, regarder
l’heure, le refermer, le rouvrir résolument, alléchée par l’odeur du café.
J’aime
prendre le temps de lire avant de me lever. Aura-t-il l’idée de me porter un
petit café au lit ? Droit de rêver, non ? !
Soudain plus
de bruit. Claquement de porte d’entrée. Parti, il est parti. Destination marché
de St Aubin.
Rituel dominical avec promesses de gourmandises à la clé : cabécou, pain bis, et si j’ai de la chance, en dessert, un ou deux livres chinés chez les bouquinistes, éditions rares (?)
Rituel dominical avec promesses de gourmandises à la clé : cabécou, pain bis, et si j’ai de la chance, en dessert, un ou deux livres chinés chez les bouquinistes, éditions rares (?)
J’aime les
sorties balades en bord de Garonne,
faire un tour dans une expo du Château d’eau
ou à l’usine du Bazacle ou les
deux.
Au Bazacle,
recevoir les embruns de la Garonne en furie
les yeux fermés sur la grande terrasse de bois, rester plantée devant la
passe à poissons qui ne passent jamais.
J’aime
croire qu’un jour j’en verrai un,
un gros, un gros saumon qui
remonterait la rivière. Droit de rêver,
non ?
Se promener
dans l’expo de Germaine Chaumel sur Toulouse sous l’occupation- Coiffures de
femmes mûres.
Souvenirs de
photos de ma grand-mère à cette époque- souvenirs remontent à la surface-rituel
des repas dominicaux, en famille- avec Bon papa, Bonne maman mais pas bon
dimanche !
Recommandations
parentales dans la Peugeot 304, sermon maternel à la nichée remuante.
A l’arrivée chez les grands parents, essayer d’éviter les baisers, parfum écœurant de Bonne maman. Mal au ventre rituel des filles avant le repas.
A l’arrivée chez les grands parents, essayer d’éviter les baisers, parfum écœurant de Bonne maman. Mal au ventre rituel des filles avant le repas.
Retrouver
les bibelots interdits aux petites
mains maladroites.
Toucher
ceux en laiton fabriqués avec des obus de 14, des balles du
Bon Papa, froids et étranges.
Au repas, tensions que nous les enfants
ressentions d’emblée, l’oreille ouverte
aux paroles distillant des flots de
reproches habituels à la mère, belle fille de Bonne Maman.
Humiliation et larmes de la mère, cris et pleurs des enfants. Bon appétit !
Rituel des
plats toujours les mêmes : abats de bœuf ; cervelles sorties d’un papier journal ; langue de
bœuf sanguinolente ; odeur entêtante des rognons.
Enfants silencieux,
yeux écarquillés devant toutes ces saignantes natures mortes.
Cacher la
boulette de viande mâchée furtivement dans la main, la jeter au grand caniche
noir qui guette sous la table. « Je n’aime pas la viande qui
saigne » dis-je définitivement aux parents
effondrés de contrarier la
sorcière Bonne Maman.
Longs
dimanches, envie de fuir, de retrouver le calme, de consoler la mère.
Bonheur de
sauter d’un pied sur l’autre sur le bord du trottoir en attendant les adieux
faussement joyeux.
Au retour, sévères
remontrances dans la voiture » Vous
avez fait les intéressants, vous irez au
lit sans manger »père, mère réconciliés.
Ouf ! Les
parents ont évité la dispute dominicale. A quel prix ? Nous les enfants le
savions chaque dimanche soir.
Dégoût
définitif de la viande
Par Marie-Claude
profitant des derniers rayons d'un soleil automnal...
SOFIA
Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum
orangé de la banlieue toulousaine.
Sofia laissait aller son regard sur les mouvements de la ville. Elle n’écoutait
plus sa mère, elle s’était refermée sur elle-même. Elle était exaspérée par
cette responsabilité d’aînée d’une fratrie de cinq filles. Elle n’y était pour
rien si son père était parti il y a dix ans les laissant toutes les six
démunies.
Elle ne niait pas le courage de sa mère,
son dévouement, elle ne niait pas
l’amour dont elle les avait toujours entourées ses quatre sœurs et elle.
Mais aujourd’hui, elle n’en pouvait plus, du haut de ses seize ans de porter
les responsabilités que sa mère lui demandait d’assumer. Elle finit par
raccrocher aux paroles prononcées dans le salon.
- Oui, je sais : toi en Afrique tu
allais au puits chercher l’eau dès huit ans, deux kilomètre aller, deux
kilomètres retour. Oui je sais : à mon age tu m’avais déjà. Oui je sais
tout ça maman ! Mais là on est en France. Les traditions sont différentes
et je n’ai plus envie de traîner la responsabilité de mes sœurs tout ça parce
que je suis la plus vieille ! Tu ne te rends pas compte de ce qui m’a été
proposé aujourd’hui : faire un test pour être mannequin, c’est
exceptionnel ! Je pourrais voyager à travers le monde si ça marche et
gagner beaucoup d’argent, et là je pourrais vous offrir tout ce dont vous rêvez
toi et les petites !
Sa mère protesta. Elle n’aimait pas ces
dérives nouvelles qui veulent que l’on devienne quelqu’un que lorsque l’on est
en photo en première page d’un magazine ou invité dans une émission de
télévision.
- Et puis tu m’énerves, reprit Sofia. J’aurais
vraiment du écouter mes rêves d’enfant et devenir pompier. C’est vrai,
tu m’as toujours dit que ce n’était pas un métier pour une femme et maintenant
que j’ai la chance de pouvoir m’engager dans un métier féminin, tu n’es
toujours pas d’accord.
Sofia savait qu’elle poussait les limites
de l’insolence trop loin, elle savait qu’elle faisait de la peine à sa mère.
Elle s’en voulait dans un sens et dans un autre était heureuse de s’affirmer
dans ce qu’elle considérait comme sa première prise de position adulte.
Sa mère changea alors d’attitude. Son
visage s’illumina et un large sourire fit place à sa mine renfermée. Sofia
connaissait bien ce sourire. Il était leur phare dans la nuit de leurs grands
et petits soucis. Il était rassurant, réconfortant. Il était tellement beau
surtout. Mais là, elle ne comprenait pas le changement d’attitude de sa mère.
Celle-ci lui ouvrit les bras et la serra
très fort comme on berce un enfant qui a eu peur. Elle comprenait à présent que
sa petite fille était en train de devenir une petite femme, ce qu’elle avait
voulu, et qu’elle aussi, avait des rêves comme elle avait eu dix-huit ans plus
tôt en quittant son Afrique natale.
- Nous sommes toutes pareilles, nous rêvons
toujours d’un ailleurs meilleur, et voulons toujours aller chercher très loin
le bonheur qui est à nos pieds, lui murmura-t-elle tendrement.
Sofia raconterai cette histoire à sa fille
un jour et elle la ponctuera en disant : « J’ai aujourd’hui compris
ce qu’elle voulait dire mais à l’époque, j’ai mis quelques secondes à
bien saisir le sens de ses paroles.
par Virginie
UN SOURIRE
Un sourire imperturbable, un sourire
accroché à ses lèvres comme une victoire, un sourire en regardant sa fille, sa
fille qui se marie aujourd’hui.
Droite, altière dans sa robe mauve de
princesse, comme une revanche, le bonheur, la fierté d’avoir réussi à tenir bon
toute seule et d’avoir mené sa petite tribu dans la construction de leurs vies.
Sa vie, la sienne, elle l’avait commencée
là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, bien plus au sud, dans un petit
village d’Afrique.
Elle avait vécu des jours d’enfant
paisibles au rythme de la nature, des jeux et des apprentissages. Et puis un
jour, elle était devenue une femme. Elle avait douze ans et on lui avait choisi
un mari. Il en avait seize.
Son mari, elle l’avait aimé dès qu’on le
lui avait présenté. Il était très beau, très fin ; il était très doux et
contrairement à beaucoup d’autres garçons du village, il était très gentil et
attentionné avec elle.
Très vite, ils avaient rêvé d’ailleurs où
ils pourraient vivre heureux. Très vite, cet ailleurs s’était appelé « la
France » et c’est ainsi, qu’à quatorze ans, elle avait rejoint sa tante
dans une banlieue française, avec son mari.
L’acclimatation avait été un peu difficile,
mais elle était courageuse. Son Afrique natale, ses sons, ses bruits, ses
odeurs lui manquaient. La ville était violente, un patchwork de personnes qui
se croisent sans se voir, sans se parler, des mondes parallèles qui cohabitent.
Elle avait fini par s’y faire.
Son mari travaillait : des petits
boulots peu gratifiants mais qui leur permettaient d’élever leurs filles. Une,
deux, trois, quatre puis cinq. Il avait fini par la quitter : il voulait
un fils.
Elle n’avait pas pleuré, il ne lui avait
pas beaucoup manqué : il avait tellement changé en changeant de continent.
Elle s’était alors mise à travailler pour
offrir une belle vie à ses filles. Elle était souvent très fatiguée mais elle
était fière et heureuse de les voir s’épanouir, rire et grandir. Jamais elle ne
se plaignait car elle voyait ce que la vie lui apportait et non pas ce qu’elle
n’avait pas.
Et aujourd’hui, elle marie sa fille. Elle
est heureuse, elle est fière et elle sourit, un sourire qui la résume et qui ne
l’a jamais quittée, un sourire comme une victoire.
par Virginie
Le prince russe
Je le croisais toujours dans le même quartier,
près du square Olivier, il avait l’air d’un prince russe en exil.
Regarder le visage des passants que
l’on croise dans la rue, ce n’est pas si facile : des images qui
disparaissent dans le brouillard, les
traits déformés des visages dans les nuages.
On peut même douter de la couleur des
yeux des personnes que l’on côtoie presque chaque jour.
Lui, c’était autre chose. Il captait le
regard, ses yeux vous traversaient et c’est vous qui vous sentiez fantomatique.
Je ne l’oublierai jamais, trente ans
après je ne l’ai pas oublié.
Je n’étais alors qu’une jeune fille à
la jupe écossaise et j’aurais frémi s’il m’avait seulement dit un mot en
passant.
Il était grand, blond argenté et son
regard pénétrait jusqu’à l’âme.
Il y avait dans le quartier un coiffeur
à l’ancienne, qui faisait aussi barbier, avec blaireau, savon moussant, et tout
un tas de lames effilées.
L’inconnu s’arrêtait parfois devant la
vitrine et j’osais regarder longuement son reflet. Un jour je lui découvris une
cicatrice à la base de la nuque, une cicatrice comme celle des arbres blessés,
j’aurais voulu la toucher.
Si je passais une semaine sans le
croiser, j’avais très peur qu’il n’ait quitté la ville.
Le soir, étendue dans le noir j’inventais
sa vie : il avait une sœur de mon âge, là-bas dans un pays de neige. Il
avait dû fuir car il était accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis. Ou bien
sa famille ruinée l’avait forcé à épouser une femme riche qu’il n’aimait pas.
Il avait obéi mais s’était exilé le lendemain de ses noces…Non, sordide, il
méritait mieux.
Le lendemain, cela recommençait. Je
remettais ma jupe écossaise, celle que je portais quand je l’avais vu la
première fois et je marchais interminablement, indifférente aux crissements des
pneus et aux hurlements des sirènes.
C’était l’automne 80.
Trente ans plus tard je reconnus son
visage sur la page d’un journal que lisait mon voisin alors que je revenais en
train vers Toulouse.
-J’aurais vraiment dû écouter mes rêves
d’enfant et devenir pompier -Dit le voyageur en reposant son journal sur la
banquette – On trouve dans les journaux des histoires incroyables, alors
pourquoi ne pas suivre ses rêves ?
- Vous permettez ? Dis-je en
tendant la main vers le journal.
- Faites, faites. Dit-il,
visiblement déçu.
Il aurait peut-être préféré que je lui
parle de mes rêves d’enfant.
Je parcourus quelques lignes, les
titres en gras, retardant le moment de retrouver l’image reconnue.
« Les incidents vont crescendo
dans la banlieue de Perpignan »
« Suicide d’adolescents : le
professeur Alajio expose ses analyses »
Enfin, page quatre, j’y étais. C’était
bien le même visage, vieilli, ridé, mais les yeux restaient source claire
malgré la mauvaise qualité du papier. Sous le vieux visage transparaissait le
visage du souvenir.
Le cœur battant, je découvris un nom,
le sien sans doute : Finsolora Albert.
Fin du prince russe.
Je levais les yeux, allais-je
poursuivre cette mise à mort ?
Je regardais à travers les vitres du
wagon, ces vitres où autrefois on était prévenus qu’il est dangereux de se
pencher au dehors. Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum orangé de la
banlieue de Toulouse.
Le train était lancé sur ses rails
comme une histoire sans détour.
Le prince russe de mes rêves d’adolescentes
poursuivi par la fuite du temps sur les rails d’acier, accusé
d’usurpation d’identité, de faux destin, de lâcheté romanesque, de promesse
volée, accusé de délit d’image.
Claude, Automne.
On l’appelle la femme au serpent.
Elle le porte comme un collier,
une parure unique, un trophée de guerre. De quel combat sort-elle diaphane
et comme un phare à la fois ? Elle a fait des kilomètres à pied, dans les
bois, sur des bateaux de clandestins avant d’arriver en France et cette lourde
fatigue se lit dans son regard de verre.
Leurs yeux jaunes à tous les deux sont jaunes et hypnotique ! Ils
ne peuvent pas être humains. La
sauvageonne ne présente qu’avec cette bête qui l’enlace amoureusement. Les écailles vernissées du serpent se marient avec son tatouage sur l’épaule …
où s’arrête l’animal ou démarre les pigments d’encre. Cette fresque raconte son
histoire mais indéchiffrable dans notre langue. Qui est la mue de
l’autre ? Peau blanche de lait, on en mangerait elle est irrésistible comme la pomme pour la
première femme divine. D’ailleurs son corps est croqué par d’autres. Dans la vie elle est modèle aux étudiants des
beaux arts … mais elle ne pose jamais seule son serpent l’accompagne comme
un amant jaloux. Elle n’est jamais nue, un rien l’habille son boa en chair et
en os autour du cou. Elle est de passage pour quelques temps dans la région,
déesse descendue tout droit du jardin
d’Eden et ses plaisirs interdits. Demain elle n’aura pas laissée de trace,
remontée directe au paradis. Son nom de scène est Snake Eve.
SOFIA
Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum
orangé de la banlieue toulousaine.
Sofia laissait aller son regard sur les mouvements de la ville. Elle n’écoutait
plus sa mère, elle s’était refermée sur elle-même. Elle était exaspérée par
cette responsabilité d’aînée d’une fratrie de cinq filles. Elle n’y était pour
rien si son père était parti il y a dix ans les laissant toutes les six
démunies.
Elle ne niait pas le courage de sa mère,
son dévouement, elle ne niait pas
l’amour dont elle les avait toujours entourées ses quatre sœurs et elle.
Mais aujourd’hui, elle n’en pouvait plus, du haut de ses seize ans de porter
les responsabilités que sa mère lui demandait d’assumer. Elle finit par
raccrocher aux paroles prononcées dans le salon.
- Oui, je sais : toi en Afrique tu
allais au puits chercher l’eau dès huit ans, deux kilomètre aller, deux
kilomètres retour. Oui je sais : à mon age tu m’avais déjà. Oui je sais
tout ça maman ! Mais là on est en France. Les traditions sont différentes
et je n’ai plus envie de traîner la responsabilité de mes sœurs tout ça parce
que je suis la plus vieille ! Tu ne te rends pas compte de ce qui m’a été
proposé aujourd’hui : faire un test pour être mannequin, c’est
exceptionnel ! Je pourrais voyager à travers le monde si ça marche et
gagner beaucoup d’argent, et là je pourrais vous offrir tout ce dont vous rêvez
toi et les petites !
Sa mère protesta. Elle n’aimait pas ces
dérives nouvelles qui veulent que l’on devienne quelqu’un que lorsque l’on est
en photo en première page d’un magazine ou invité dans une émission de
télévision.
- Et puis tu m’énerves, reprit Sofia. J’aurais
vraiment du écouter mes rêves d’enfant et devenir pompier. C’est vrai,
tu m’as toujours dit que ce n’était pas un métier pour une femme et maintenant
que j’ai la chance de pouvoir m’engager dans un métier féminin, tu n’es
toujours pas d’accord.
Sofia savait qu’elle poussait les limites
de l’insolence trop loin, elle savait qu’elle faisait de la peine à sa mère.
Elle s’en voulait dans un sens et dans un autre était heureuse de s’affirmer
dans ce qu’elle considérait comme sa première prise de position adulte.
Sa mère changea alors d’attitude. Son
visage s’illumina et un large sourire fit place à sa mine renfermée. Sofia
connaissait bien ce sourire. Il était leur phare dans la nuit de leurs grands
et petits soucis. Il était rassurant, réconfortant. Il était tellement beau
surtout. Mais là, elle ne comprenait pas le changement d’attitude de sa mère.
Celle-ci lui ouvrit les bras et la serra
très fort comme on berce un enfant qui a eu peur. Elle comprenait à présent que
sa petite fille était en train de devenir une petite femme, ce qu’elle avait
voulu, et qu’elle aussi, avait des rêves comme elle avait eu dix-huit ans plus
tôt en quittant son Afrique natale.
- Nous sommes toutes pareilles, nous rêvons
toujours d’un ailleurs meilleur, et voulons toujours aller chercher très loin
le bonheur qui est à nos pieds, lui murmura-t-elle tendrement.
Sofia raconterai cette histoire à sa fille
un jour et elle la ponctuera en disant : « J’ai aujourd’hui compris
ce qu’elle voulait dire mais à l’époque, j’ai mis quelques secondes à
bien saisir le sens de ses paroles.
par Virginie
UN SOURIRE
Un sourire imperturbable, un sourire
accroché à ses lèvres comme une victoire, un sourire en regardant sa fille, sa
fille qui se marie aujourd’hui.
Droite, altière dans sa robe mauve de
princesse, comme une revanche, le bonheur, la fierté d’avoir réussi à tenir bon
toute seule et d’avoir mené sa petite tribu dans la construction de leurs vies.
Sa vie, la sienne, elle l’avait commencée
là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, bien plus au sud, dans un petit
village d’Afrique.
Elle avait vécu des jours d’enfant
paisibles au rythme de la nature, des jeux et des apprentissages. Et puis un
jour, elle était devenue une femme. Elle avait douze ans et on lui avait choisi
un mari. Il en avait seize.
Son mari, elle l’avait aimé dès qu’on le
lui avait présenté. Il était très beau, très fin ; il était très doux et
contrairement à beaucoup d’autres garçons du village, il était très gentil et
attentionné avec elle.
Très vite, ils avaient rêvé d’ailleurs où
ils pourraient vivre heureux. Très vite, cet ailleurs s’était appelé « la
France » et c’est ainsi, qu’à quatorze ans, elle avait rejoint sa tante
dans une banlieue française, avec son mari.
L’acclimatation avait été un peu difficile,
mais elle était courageuse. Son Afrique natale, ses sons, ses bruits, ses
odeurs lui manquaient. La ville était violente, un patchwork de personnes qui
se croisent sans se voir, sans se parler, des mondes parallèles qui cohabitent.
Elle avait fini par s’y faire.
Son mari travaillait : des petits
boulots peu gratifiants mais qui leur permettaient d’élever leurs filles. Une,
deux, trois, quatre puis cinq. Il avait fini par la quitter : il voulait
un fils.
Elle n’avait pas pleuré, il ne lui avait
pas beaucoup manqué : il avait tellement changé en changeant de continent.
Elle s’était alors mise à travailler pour
offrir une belle vie à ses filles. Elle était souvent très fatiguée mais elle
était fière et heureuse de les voir s’épanouir, rire et grandir. Jamais elle ne
se plaignait car elle voyait ce que la vie lui apportait et non pas ce qu’elle
n’avait pas.
Et aujourd’hui, elle marie sa fille. Elle
est heureuse, elle est fière et elle sourit, un sourire qui la résume et qui ne
l’a jamais quittée, un sourire comme une victoire.
par Virginie
Le prince russe
Je le croisais toujours dans le même quartier,
près du square Olivier, il avait l’air d’un prince russe en exil.
Regarder le visage des passants que
l’on croise dans la rue, ce n’est pas si facile : des images qui
disparaissent dans le brouillard, les
traits déformés des visages dans les nuages.
On peut même douter de la couleur des
yeux des personnes que l’on côtoie presque chaque jour.
Lui, c’était autre chose. Il captait le
regard, ses yeux vous traversaient et c’est vous qui vous sentiez fantomatique.
Je ne l’oublierai jamais, trente ans
après je ne l’ai pas oublié.
Je n’étais alors qu’une jeune fille à
la jupe écossaise et j’aurais frémi s’il m’avait seulement dit un mot en
passant.
Il était grand, blond argenté et son
regard pénétrait jusqu’à l’âme.
Il y avait dans le quartier un coiffeur
à l’ancienne, qui faisait aussi barbier, avec blaireau, savon moussant, et tout
un tas de lames effilées.
L’inconnu s’arrêtait parfois devant la
vitrine et j’osais regarder longuement son reflet. Un jour je lui découvris une
cicatrice à la base de la nuque, une cicatrice comme celle des arbres blessés,
j’aurais voulu la toucher.
Si je passais une semaine sans le
croiser, j’avais très peur qu’il n’ait quitté la ville.
Le soir, étendue dans le noir j’inventais
sa vie : il avait une sœur de mon âge, là-bas dans un pays de neige. Il
avait dû fuir car il était accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis. Ou bien
sa famille ruinée l’avait forcé à épouser une femme riche qu’il n’aimait pas.
Il avait obéi mais s’était exilé le lendemain de ses noces…Non, sordide, il
méritait mieux.
Le lendemain, cela recommençait. Je
remettais ma jupe écossaise, celle que je portais quand je l’avais vu la
première fois et je marchais interminablement, indifférente aux crissements des
pneus et aux hurlements des sirènes.
C’était l’automne 80.
Trente ans plus tard je reconnus son
visage sur la page d’un journal que lisait mon voisin alors que je revenais en
train vers Toulouse.
-J’aurais vraiment dû écouter mes rêves
d’enfant et devenir pompier -Dit le voyageur en reposant son journal sur la
banquette – On trouve dans les journaux des histoires incroyables, alors
pourquoi ne pas suivre ses rêves ?
- Vous permettez ? Dis-je en
tendant la main vers le journal.
- Faites, faites. Dit-il,
visiblement déçu.
Il aurait peut-être préféré que je lui
parle de mes rêves d’enfant.
Je parcourus quelques lignes, les
titres en gras, retardant le moment de retrouver l’image reconnue.
« Les incidents vont crescendo
dans la banlieue de Perpignan »
« Suicide d’adolescents : le
professeur Alajio expose ses analyses »
Enfin, page quatre, j’y étais. C’était
bien le même visage, vieilli, ridé, mais les yeux restaient source claire
malgré la mauvaise qualité du papier. Sous le vieux visage transparaissait le
visage du souvenir.
Le cœur battant, je découvris un nom,
le sien sans doute : Finsolora Albert.
Fin du prince russe.
Je levais les yeux, allais-je
poursuivre cette mise à mort ?
Je regardais à travers les vitres du
wagon, ces vitres où autrefois on était prévenus qu’il est dangereux de se
pencher au dehors. Déjà au loin, la nuit se teintait du vélum orangé de la
banlieue de Toulouse.
Le train était lancé sur ses rails
comme une histoire sans détour.
Le prince russe de mes rêves d’adolescentes
poursuivi par la fuite du temps sur les rails d’acier, accusé
d’usurpation d’identité, de faux destin, de lâcheté romanesque, de promesse
volée, accusé de délit d’image.
Claude, Automne.
DÉJÀ AU LOIN,
LA NUIT SE TEINTAIT DU VELUM ORANGE DE LA BANLIEUE DE TOULOUSE.
C’était un soir de juin, nous
avions pris l’habitude de nous donner rdv sur les berges de la Garonne pour
profiter des couchers de soleil tardifs et écarlates. Il faisait bon se
retrouver sur les berges de la daurade ou du quai de Tunis, dans cette bande de
terre délimitée par les épais murs de brique relarguant la chaleur du jour emmagasinée et
Dame Garonne immense dont fraîcheur de l’eau remonte par vague. On se laissait
prendre dans un doux va et vient de chaud
froid, type machine à laver qui vous lave la tête face baignés encore de soleil
tardant à faire sa révérence.
Beaucoup de jeunes gens
profitaient de cette atmosphère de plage à la ville pour jouer de la musique sortir timidement
les bikinis pour se faire mordre par les derniers rayon de soleil ou encore
pique-niquer entre amis.
Parmi les corps alanguis, une jeune femme
attira mon attention avec un insolite de
déjeuner sur l’herbe. Comme ses voisins, elle avait étendue une natte sur la
berge et prenait le soleil, mais dans le plus simple apparat avec comme seul
amant à ses cotés, mais non des moindres,
un serpent enrôlé à son cou. Quelques hommes se tenaient assis, l’air très absorbé,
absolument pas distrait par les formes parfaites de la jeune femme. A coup de
fusain, ils reproduisaient tant bien que mal ce nu qui posait là habillé de son
boa en chair et en os pour seul accessoire féminin. Elle portait le serpent comme un collier, une parure unique, un
trophée de guerre. De quel combat sortait t-elle diaphane et à la
fois notre soleil de ce soir. Son regard était lourd de fatigue, figé
comme du verre et si lointain. Sa
couleur m’interpellait. Ses yeux étaient jaunes et hypnotiques en accord avec ceux du reptile
! Ils ne pouvaient pas être humain ces deux là.
La bête l’enlaçait amoureusement.
Les écailles vernissées du serpent
se mariaient avec son tatouage sur l’épaule … où s’arrêtait l’animal ou
démarraient les pigments d’encre. .. Qui était la mue de l’autre ? Timidement
je m’approchai de cette princesse d’un
autre monde et lui demanda ce que représentait
cette fresque sur sa peau.
J’AI MIS QUELQUES SECONDES A BIEN
SAISIR LE SENS DE SES PAROLES.
Elle parlait avec un fort accent
slave et me fit comprendre que ce dessin racontait son histoire et progressait
au fur et à mesure de ses escales. Elle était arrivée en France voilà 3 ans
fuyant des conditions de vie misérable dans sa ville natale. Elle a fait des
kilomètres à pied, dans les bois, sur des bateaux de clandestins avant
d’arriver à Marseille puis remonter en stop jusqu’à Toulouse. En fouillant du regard ce méandre de couleur,
on distinguait des chemins, des personnages égarés … beaucoup d’encres sombres
aux couleurs froides traduisant son errance puis par endroit des tons chauds
jusqu’à du rouge vif symbole de la
chaleur et du bon accueil qu’elle avait trouvé dans la ville rose. En laissant descendre mon regard de son épaule
a ses reins, je me laissais captiver par la diva et le reptile. La situation
aurait pu paraitre du vulgaire voyeurisme de la part d’un inconnu et pourtant
elle restait assise, avec un naturel
désarçonnant, devant moi qui la mangeais
des yeux et tous les autres autours. D’ailleurs son corps est croqué par cette
troupe rapprochée. Aujourd’hui elle était modèle pour les étudiants des
beaux arts et vivait des cachés de ses pauses… plusieurs sessions par
semaine parfois par ici en plein air
souvent en remontant les quais
directement dans les salles d’étude … elle complétait son temps chez des
particuliers, soit disant férus de dessin, qui devaient la retenir dans leur
lit une fois le croquis terminé voir bâclé.
Je ressentis à ces suspicions une
vive douleur au plexus … cela faisait horriblement mal et brulait … le feu
intérieur de la jalousie venait de se déclarer … Je venais de comprendre que
cette fille me plaisait terriblement et que j’avais envie de la revoir en
d’autres circonstances. J’AURAIS VRAIMENT Dû ÉCOUTER MES RÊVES D’ENFANT ET DEVENIR POMPIER pour me sauver de cette
situation. Défaut d’un casque et de la lance à eau, je pris mon courage à deux
mains et lui demanda sa carte d’artiste. A la barbe des autres
elle me tendit un message ….
SNAKE EVE – Modèle vivant
académie des beaux arts,
38 Quai de la Dalbade – 06 84 63 48 25
par Sylvie
d’après le travail photographique des Artistes invités : Shoji Ueda, Frank Horvat, Jean-Baptiste Huynh, Isabel Muñoz
Quelques pages écrites le 14 septembre lors des Portes Ouvertes de la Médiathèque de Réalmont...
Ecrire, c'est...
Ecrire, c'est
raconter
Ecrire, c'est inventer
Ecrire, c'est se
laisser aller à oublier ou à se remémorer
Ecrire, c'est
vivre avec le recours des mots ce que l'on n'a jamais osé
Ecrire n'est pas
toujours facile.
Parfois s'imposent
des mots que l'on voudrait éviter.
Parfois les mots
ne viennent pas, ils sont cadenassés.
Parfois les mots
coulent de source, et dans ce cas, écrire, quoi que disent ces mots, c'est
jubiler...
par Janine
Gaston et
le rugby
Qu'est ce que c'est que ce machin, ovale,
pointu aux deux bouts ? Un ballon ? Pfff ! Un ballon, c'est
rond. Que va - t 'il encore inventer ? J'en ai les bras qui tombent, le dos qui
se voûte, la mèche en bataille... Ma première gaffe a été de me lever ce matin.
Même ça, l'heure de mon réveil, je n'en décide pas. Quelle vie ! Elle n'a
pas fini de rire, la mouette, quand elle va me voir taper dans ce fichu ballon.
On tape où, d'ailleurs ? Sur les pointes ou au milieu ?
Mais … pourquoi il me met le ballon dans
les mains ? Ah ! Parce qu'on en joue essentiellement avec les
mains... depuis qu'un joueur anglais a eu la lumineuse idée de chiper le ballon aux joueurs adverses et
est allé le poser entre leurs buts à la main ! Pfff! Courir ! Je suis
fatigué rien que d'y penser ! J'ai sommeil, moi ! IL m'a réveillé
trop tôt pour satisfaire sa lubie ! Je n'y suis pour rien si sa mère n'a
pas voulu l'inscrire au club de 13 quand il était petit au prétexte que les
joueurs adultes avaient des cous de taureau et des cuisses en béton. Moi non
plus, je n'en veux pas d'un cou pareil et de ces cuisses-là ! Seulement
voilà, je sais que lorsqu'il a une idée en tête il ne la lâche pas. Alors
finissons-en, que je puisse aller faire ma sieste dans le placard aux archives.
Donc, tu veux que j'en fasses quoi, de ce ballon ? Que je fasse une
passe ? Mais à qui ? A Mademoiselle Jeanne... D'accord...
Psttt !!! mademoiselle Jeanne ! Attrapez ! Aïe ! Aïe !
Aïe ! Vos lunettes ! Ouf ! Elles ne sont pas cassées ! Et
la mouette qui rit ! Arrête de te moquer de moi ! A chaque planche tu
te moques de moi ! Tiens, attrape ! Ratée... Tu ne pers rien pour
attendre...
AÏE ! Qu'est-ce qu'il fait sur mon
chemin, ce bureau ! Et voilà, l'ordinateur est par terre ! Fantasio
va encore râler ! Comme toujours ! Tant pis. Finalement, il est
rigolo ce ballon. Il me plaît. Je vais tenter un panier dans l'abat-jour. Je
peux bien inventer un nouveau sport, il n'est pas nécessaire d'être à Rugby
pour avoir des idées originales ! Chouette ! J'ai réussi !
Pfff ! Zut ! Franquin exagère toujours ! J'ai logé le ballon
dans le chapeau de Monsieur Demaesmaker...
Mademoiselle
Jeanne rit jaune. Gaston est très gentil mais ce n'est pas pour rien qu'on
l'appelle Lagaffe. Il a une drôle de façon de lui faire la cour. Tout à l'heure
il a failli lui casser les lunettes. Et ce n'est pas Franquin qui en est
responsable. Il se plaint toujours, Gaston, que Franquin lui donne un mauvais
rôle à jouer. Mais elle l'a vu, ce matin, quand il est arrivé, Gaston, l'oeil
pétillant. Il sifflotait. Il s'est répandu en commentaires sur le tournoi des
Cinq Nations. Et son pull trop court dissimulait mal un ballon ovale. Il
provoquait la Mouette Rieuse en lui disant : « Tu verras, quand Franquin
va se mettre au travail, on va bien s'amuser ! » La mouette était
inquiète, s'amuser avec Gaston, c'est excitant mais ce n'est pas sans risque...
Effectivement, quand Franquin a vu le
ballon que Gaston avait mis bien en évidence sur son bureau, il n'a pas
résisté ! Son imagination débridée a fait le reste !
Voilà
comment Gaston Lagaffe a fait ses débuts dans le rugby.
par Janine
Un samedi après-midi
Samedi après-midi, un doux soleil
perça la brume. Il était temps ! Il avait froid. Il s'était réveillé en
sueur au milieu de la nuit et pourtant, depuis, il était glacé. Les Amants de
Feu avaient occupé son esprit. Souvenirs prégnants de sa jeunesse envolée.
Souvenirs d'un temps heureux. Cela
n'avait pas été un divertissement, ils s'étaient aimés. Véritablement. Ils
n'étaient pas entrés dans le dictionnaire comme ces amants maudits que le sort
avaient séparés. Ils n'étaient pas Tristan et Iseut. C'est le temps qui les
avait séparés. Insensiblement. L'usure. L'habitude. La répétition.
Le point final avait été mis un par
samedi après-midi semblable à celui-ci. Un samedi après-midi où un doux soleil
avait percé la brume de la fin de cette semaine-là, la dernière. Il voulait
garder la meilleure part de leur histoire. Que le passé ne ferme pas l'avenir.
Sans se bercer d'espoirs illusoires. Cependant, la part irrationnelle de son
être intime croyait en la transmission de pensée. Une pensée créative. Qui
l'atteindrait, où qu'elle soit. Qui mettrait fin à cette forme d'exil
volontaire qu'il vivait chaque année le samedi après-midi le plus proche de la
date triste dans ce chalet au bois gris. Qui la pousserait à revenir à
l'endroit même où elle lui avait annoncé, des années auparavant, de sa voix la
plus douce : « Tu sais, je vais partir. Il le faut. Pour moi. Pour
toi. Pour nous. Mais je n'oublierai jamais les Amants de Feu, ainsi que nous
nous appelions lorsque nous nous sommes rencontrés... »
Elle avait pris son sac, déjà prêt,
depuis quand il ne savait pas, avait ouvert la porte, descendu les marches,
agité la main sans se retourner, dans le doux soleil qui perçait la brume.
par Janine
Bages
"écrire en mai", une rencontre dédiée aux ateliers d'écriture est proposée chaque année par l'association Porte-Voie, nous avons toujours grand plaisir à nous y rendre et émerveillées par les textes qui en découlent.
Un tableau a
disparu…
En présence:
Mr Aubry de
la Martinière, conservateur
Inspecteur
Le flanc et brigadier Lepinceau de la section VDA (vol des œuvres d'art)
- Inspecteur
Leflanc, j'inspecte, je veux des faits précis
- Le tableau,
Mr l'inspecteur est un diptyque
- Un quoi?
- Deux
tableaux en un, à gauche les anges, à droite du coton, du blanc
- J'inspecte.
Un tableau a disparu, pas deux
- Un
diptyque, Mr l’inspecteur, ce sont deux tableaux qui n'en font qu'un. L'artiste
Séraphin Céleste y tient.
- J'inspecte.
Un artiste, donc, fabrique deux tableaux et dit :"il n'y en qu'un".
C'est quoi ça?
- Voilà, je
vous explique.
Format 80 cm de largeur sur 2m de haut chaque toile;
toile de lin blanchie au gesso ; toile de gauche, ailes d'anges, rémiges de
colombes signe du saint esprit collées à la gomme arabique bio; le chasseur,
juste un concept; ciel blanc acrylique étalé à la brosse plate de 30 mêlé à du
fructose car rien n'est trop beau ni assez édulcoré pour le divin.
Toile de droite ; même format donc, même
fond; coton suggéré par des lambeaux de voile de mariée, des robes de baptême
du siècle passé, accumulation de dentelles anciennes comme dans les
reliquaires. Beaucoup de douceur et de caresses.
- Inspecteur
Leflanc, je vous rappelle que j'inspecte
pour un vol et non pour des caresses Je veux des faits précis. 2 m de hauteur! Comment sortir
des tableaux comme ça sans être vu?
- Ces toiles
ne sont pas tendues sur des cadres. Elles sont montées en kakemonos, à la
chinoise ou la japonaise. Il suffit de les enrouler avec précaution autour du
bambou noir de 5cm de diamètre, venant de la bambouseraie de Xiyaling dans le
sud ouest du Sichuan. Ce noir végétal brillant oppose sa matérialité au blanc
astral mat des panneaux. Le format vertical est comme un clocher gothique, une
ascension, une échelle vers les limbes, un envol...
-Brigadier
Lepinceau, je vous passe l'affaire, vous avez carte blanche.
J'ai vu l'étang avec cette femme en deux
morceaux: même pas du marbre: du toc, du stuc peint! Elle est creuse, et aussi
écorchée que le mur derrière elle. J'ai dit une femme mais soit elle a un mont
de vénus comme l'Everest, soit elle une foufoune style afro, soit c'est un
androgyne si vous voyez ce que je veux dire, moitié sirène, moitié congre: une
nouvelle petite sirène transgénique quoi!
Dans la mairie, avec la nouvelle élue,
Aliénor Machin qui vient de Paris, ils (le service culturel) ont décidé de
faire du moderne. Non pardon pas du moderne, c'était avant. Maintenant c'est du
con, consensuel, non, consenti, non pas
du tout.
Bref, il y a
quatre spots sur un mur qui envoient quatre taches blanches en face. Et
attention, faut pas toucher. Le tout dans la pénombre. Si tu touches, ça sonne.
Comme si on volait des lumières
Sur le banc de pierre, qui en fait est un
sarcophage du 1er siècle en marbre de St Béat, le photographe a
installé une vue hivernale urbaine. C'est un cliché argentique noir et blanc.
D'une fenêtre on aperçoit une silhouette dans une rue déserte, une ambiance morose,
une lumière anémique comme dans certaines gravures de Hopper. Est ce un symbole
de la mort?
Jeunes et fringants, les ados gloussent
devant la belle aux seins nus. C'est même pas une vraie. En plus elle est dans
une grotte et doit se cailler.
- Madame, le cadre, il est en or massif?
- Et les outils là, c'est pour la repeindre?
Ils vont lui mettre un sous tif, hein madame?
- Allez salle 12, suivez-moi
Vers la rive, dans cette salle qui donne sur
l'étang, ils installé un marbre comme s'il devait contempler l'horizon. En
réalité il a le nez cassé. Seuls restent intacts un magnifique bras musclé et
une lourde draperie où s'affrontent ombres et lumières.
Leur voix s'élèvent, ils sont vieux, ils voient,
entendent mal. Il y a ceux qui expliquent ce qu'il faut voir à ceux qui ont des
lunettes ou des cristallins artificiels fatigués. Il y a ceux qui répètent pour
ceux qui sont mal appareillés ou dont les prothèses sont mal réglées et
sifflent tout le temps. De toute façon, à part ceux qui sont en chaise
roulante, les autres ont besoin de bouger. Alors même bénis par un évêque, ils
partent avec les cannes anglaises américaines, tripodes et les déambulateurs.
Enfin presque, c'est presque un musée. Un
Picasso des années 30, mais c'est tout. Au dessus de l'extincteur, ce sont les
consignes de sécurité. Dans la salle du fond un père joue avec son enfant comme
à la plage.
La ligne de départ est fixée. Sur ce démon-gardien
de l'île des immortels, on a déjà suspendue l'étiquette. Et oui, il peut faire
la moue ce pauvre gardien. Il ne fait plus peur à personne. Et voilà, JN 128,
n° de réserve, 2ème sous sol, section antiques asiatiques
Fixant les
boules, oui c'est ça, fixant les boules, le déménageur se demande comment
suspendre le tableau. La tête du personnage de Latour Fait de même. Pourquoi me
change-t-on de salle, J'aimais bien mon petit Vermeer, Ma petite Ménine. Je
m'étais bien habituée à eux. Oh! là! là, je suis très inquiète. Je crois qu'on
m'a peinte pour un particulier. Lors d'une expo, un arlequin plus jeune que moi
de trois siècles m'a dit que maintenant les peintures s'accrochaient dans de
grandes maisons où circulaient des foules de gens. Vous ne le savez pas mais
depuis ce jour j'ai toujours eu un musée imaginaire caché sous mes paupières.
Insaisissable, je l'emmène avec moi.
Par Roseline
C'est l'histoire d'un musée
Pas sûr que j'aimé
C'est l'histoire d'un tableau, étroit et très
très haut,
Absolument tout blanc
Avec rien dedans.
T'es sûr
Pas sûr
Deux rubans très très blancs
Tous dégoulinants,
Un inspecteur borné
Sans culture de musée
Avec juste un brigadier
Pour l'accompagner
Des gens intéressés
Ou désintéressés
Ou franchement dégoûtés
Des élèves excités
Des profs surmenés
Des œuvres indifférentes
Plus ou moins attirantes
Des trucs et des machins
Plus ou moins incertains
Bref un musée imaginaire
Trop lourd sous mes paupières
Sauf ce champ de coton
Léger comme un bourdon
Par Roseline
Un tableau a
disparu…
En présence:
Mr Aubry de
la Martinière, conservateur
Inspecteur
Le flanc et brigadier Lepinceau de la section VDA (vol des œuvres d'art)
- Inspecteur
Leflanc, j'inspecte, je veux des faits précis
- Le tableau,
Mr l'inspecteur est un diptyque
- Un quoi?
- Deux
tableaux en un, à gauche les anges, à droite du coton, du blanc
- J'inspecte.
Un tableau a disparu, pas deux
- Un
diptyque, Mr l’inspecteur, ce sont deux tableaux qui n'en font qu'un. L'artiste
Séraphin Céleste y tient.
- J'inspecte.
Un artiste, donc, fabrique deux tableaux et dit :"il n'y en qu'un".
C'est quoi ça?
- Voilà, je
vous explique.
Format 80 cm de largeur sur 2m de haut chaque toile;
toile de lin blanchie au gesso ; toile de gauche, ailes d'anges, rémiges de
colombes signe du saint esprit collées à la gomme arabique bio; le chasseur,
juste un concept; ciel blanc acrylique étalé à la brosse plate de 30 mêlé à du
fructose car rien n'est trop beau ni assez édulcoré pour le divin.
Toile de droite ; même format donc, même
fond; coton suggéré par des lambeaux de voile de mariée, des robes de baptême
du siècle passé, accumulation de dentelles anciennes comme dans les
reliquaires. Beaucoup de douceur et de caresses.
- Inspecteur
Leflanc, je vous rappelle que j'inspecte
pour un vol et non pour des caresses Je veux des faits précis. 2 m de hauteur! Comment sortir
des tableaux comme ça sans être vu?
- Ces toiles
ne sont pas tendues sur des cadres. Elles sont montées en kakemonos, à la
chinoise ou la japonaise. Il suffit de les enrouler avec précaution autour du
bambou noir de 5cm de diamètre, venant de la bambouseraie de Xiyaling dans le
sud ouest du Sichuan. Ce noir végétal brillant oppose sa matérialité au blanc
astral mat des panneaux. Le format vertical est comme un clocher gothique, une
ascension, une échelle vers les limbes, un envol...
-Brigadier
Lepinceau, je vous passe l'affaire, vous avez carte blanche.
J'ai vu l'étang avec cette femme en deux
morceaux: même pas du marbre: du toc, du stuc peint! Elle est creuse, et aussi
écorchée que le mur derrière elle. J'ai dit une femme mais soit elle a un mont
de vénus comme l'Everest, soit elle une foufoune style afro, soit c'est un
androgyne si vous voyez ce que je veux dire, moitié sirène, moitié congre: une
nouvelle petite sirène transgénique quoi!
Dans la mairie, avec la nouvelle élue,
Aliénor Machin qui vient de Paris, ils (le service culturel) ont décidé de
faire du moderne. Non pardon pas du moderne, c'était avant. Maintenant c'est du
con, consensuel, non, consenti, non pas
du tout.
Bref, il y a
quatre spots sur un mur qui envoient quatre taches blanches en face. Et
attention, faut pas toucher. Le tout dans la pénombre. Si tu touches, ça sonne.
Comme si on volait des lumières
Sur le banc de pierre, qui en fait est un
sarcophage du 1er siècle en marbre de St Béat, le photographe a
installé une vue hivernale urbaine. C'est un cliché argentique noir et blanc.
D'une fenêtre on aperçoit une silhouette dans une rue déserte, une ambiance morose,
une lumière anémique comme dans certaines gravures de Hopper. Est ce un symbole
de la mort?
Jeunes et fringants, les ados gloussent
devant la belle aux seins nus. C'est même pas une vraie. En plus elle est dans
une grotte et doit se cailler.
- Madame, le cadre, il est en or massif?
- Et les outils là, c'est pour la repeindre?
Ils vont lui mettre un sous tif, hein madame?
- Allez salle 12, suivez-moi
Vers la rive, dans cette salle qui donne sur
l'étang, ils installé un marbre comme s'il devait contempler l'horizon. En
réalité il a le nez cassé. Seuls restent intacts un magnifique bras musclé et
une lourde draperie où s'affrontent ombres et lumières.
Leur voix s'élèvent, ils sont vieux, ils voient,
entendent mal. Il y a ceux qui expliquent ce qu'il faut voir à ceux qui ont des
lunettes ou des cristallins artificiels fatigués. Il y a ceux qui répètent pour
ceux qui sont mal appareillés ou dont les prothèses sont mal réglées et
sifflent tout le temps. De toute façon, à part ceux qui sont en chaise
roulante, les autres ont besoin de bouger. Alors même bénis par un évêque, ils
partent avec les cannes anglaises américaines, tripodes et les déambulateurs.
Enfin presque, c'est presque un musée. Un
Picasso des années 30, mais c'est tout. Au dessus de l'extincteur, ce sont les
consignes de sécurité. Dans la salle du fond un père joue avec son enfant comme
à la plage.
La ligne de départ est fixée. Sur ce démon-gardien
de l'île des immortels, on a déjà suspendue l'étiquette. Et oui, il peut faire
la moue ce pauvre gardien. Il ne fait plus peur à personne. Et voilà, JN 128,
n° de réserve, 2ème sous sol, section antiques asiatiques
Fixant les
boules, oui c'est ça, fixant les boules, le déménageur se demande comment
suspendre le tableau. La tête du personnage de Latour Fait de même. Pourquoi me
change-t-on de salle, J'aimais bien mon petit Vermeer, Ma petite Ménine. Je
m'étais bien habituée à eux. Oh! là! là, je suis très inquiète. Je crois qu'on
m'a peinte pour un particulier. Lors d'une expo, un arlequin plus jeune que moi
de trois siècles m'a dit que maintenant les peintures s'accrochaient dans de
grandes maisons où circulaient des foules de gens. Vous ne le savez pas mais
depuis ce jour j'ai toujours eu un musée imaginaire caché sous mes paupières.
Insaisissable, je l'emmène avec moi.
Par Roseline
C'est l'histoire d'un musée
Pas sûr que j'aimé
C'est l'histoire d'un tableau, étroit et très
très haut,
Absolument tout blanc
Avec rien dedans.
T'es sûr
Pas sûr
Deux rubans très très blancs
Tous dégoulinants,
Un inspecteur borné
Sans culture de musée
Avec juste un brigadier
Pour l'accompagner
Des gens intéressés
Ou désintéressés
Ou franchement dégoûtés
Des élèves excités
Des profs surmenés
Des œuvres indifférentes
Plus ou moins attirantes
Des trucs et des machins
Plus ou moins incertains
Bref un musée imaginaire
Trop lourd sous mes paupières
Sauf ce champ de coton
Léger comme un bourdon
Par Roseline
Mayronnes, sentier sculpturel
La
rengaine d’approche
Est-ce
l’appel de la nature ou celui du corps ?
Glugloutement
de l’écho des sources au pied des fougères
Musique
des mes pas maladroits roulent
Enivrés
par la fragrance entêtante du chèvrefeuille
Déploiement
délicat sous le soleil
ses fleurs
veloutées ou mon corps dégingandé ?
Affolement
désespéré des alvéoles de mes poumons
A capter l’oxygène
et l’air du temps
L’orchis
des près se dresse fièrement
Comme moi
pauvre mortelle échappée de la ville
Je perds
pied sur ce sentier
Hallucination
sur sol raviné
Délire du
corps et des idées dénouées
Bourdonnement
d’insectes dans mes oreilles ou dans ma tête ?
Seule la
vigne centenaire m’apaise
Symbole de
patience et maturité
Son
cep susurre cette petite musique :
« Enracine-toi et profite un temps
Car ici le
taon suspend son vol »
Par Sylvie
Je suis le passeur du val
Je suis le
passeur du val
A la
verticale du présent, à l’horizontal des Corbières.
C’est moi
qui veille sur ce chemin sans issu…
A
Mayronnes, la route ne continue plus
la
garrigue joue des tours sauvages
et s’amuse
à cacher les sentiers.
Je suis là
depuis la nuit des temps.
Je suis le
descendant des templiers.
Mon corps
provient du bronze de leurs cotes de maille.
Je suis
fin comme la lame de leurs épais et pourfend le vent.
Je reste
là impassible et ivre d’air pur.
Je veille
sur cette crique végétale contre les assauts des hommes.
Contre
leur bêtise collective et leur folie
urbaine.
Au
voyageur humble et perdu, ma flèche indique la direction
S’il aime
les 4 vents, le lavandin et les boutons d’aubépine,
Il
retrouvera son chemin en écoutant ses sens
S’il fait
parti des promoteurs, je brouille les cartes
Et les
ondes telluriques de corps de métal jouent avec son GPS
Son
étendard de technologie devient fou
Et le perd
dans les gorges du val.
Ivresse !
J’en vibre sous le mistral …
Alors toi,
qui vient de croiser ma route
Qui
es-tu ? Que cherches-tu ?
Sois clair
avec toi-même
Ne triche
pas avec le veilleur du val
Par Sylvie
Il porte le monde sur son dos
Il porte le monde sur son dos.
Depuis combien de temps est’ il
parti ?
Erre-t-il seul sur ses terres arides de
Corbières
Avec pour seul bagage ses souvenirs
Et sur son dos le léger fardeau de sa
vie.
Et fait le point sur son itinéraire
Ou plutôt sur ses années de marche
A fuir l’intolérance des hommes.
Son corps est sec à force de tirer
dessus
Comme un cep de vigne centenaire
Lissé par le vent et les intempéries
Griffé par les genets et les ronciers
Baigné par la rosée du matin
Parfumé par le chèvre feuille.
Sur sa route de solitaire
Il a croisé un drôle de vigile
Un veilleur sur la vallée intemporel
Inconnu de fer, face à l’étranger de
bois
Mystère des éléments
Un rayon du soleil s’est reflété sur la
lame de son corps
Et tracé la route à suivre pendant
quelques secondes.
Et toi, voyageur endormi à la croisée de leur chemin,
Sans rien dire tu as observé leur manège
Et
perçu cet indicible itinéraire des sens
Éclaircie soudaine dans l’errance de nos
vies.
Surtout,
gardes toi de le répéter aux hommes,
A moins que tu ne veuilles finir perdu
toi aussi.
Par Sylvie
L’arche de Noé
De loin on dirait un squelette de
baleine
Échouée sur ces plateaux des Corbières
Tout régulier en os de bois
Et refuge des insectes et herbes folles
A qui elle apporte un peu fraîcheur
Par quelle mer magique
cette bête s’est elle échouée ici ?
A y regarder de plus prêt,
La barque a troqué le cétacé.
C’est l’arche de Noé
débarquée un soir de rayon de lune.
Mais, pas celle de la légende biblique
Elle n’a pas abrité le monde animalier
Mais une espèce disparue de fous et doux
rêveurs
Des spécimens doucement mais surement
dispersés
Dans la garrigue épaisse des Corbières.
Si toi, le voyageur, tu es bien attentif
Tu pourrais croiser au détour d’un
sentier,
un veilleur de fer se dressant vaillamment
contre vents et marées
ou bien un vieil ermite portant sur son
dos le fardeau de sa vie.
Capte leur âme et respire de tous tes
sens
Ils t’aideront à trouver ta voix.
Inch’ Allah !
Par Sylvie
Gertrude
Gertrude, je m’appelle Gertrude. Et d’ailleurs, les autres aussi,
m’appellent Gertrude. Je suis née, il y a maintenant quelques dizaines
d’années, peut-être même pas loin de cent ans. De l’union de la terre et du
feu. Ce fut un embrasement magnifique dont je garde encore les traces au fond
de moi.
Lors de ma gestation et de ma jeunesse, de nombreux plans furent
échafaudés. Cela dura longtemps. Toujours est-il qu’un beau jour, on m’a
envoyée au charbon. Pour le bonheur des hommes, je fus promue entraineuse. Pas
entraineuse de bas-étage, non, j’étais vouée à évoluer dans les hautes sphères.
J’en ai entrainé, des mineurs, au septième ciel, vous pouvez me croire !
Mais il est arrivé un jour où je n’ai plus été assez efficace et on
m’a mise au rencard. Ce fut une période sombre de ma vie. Je me suis retrouvée
dans un cul de basse-fosse, reléguée, abandonnée, ballottée au milieu d’une
foule très hétéroclite de résidus comme moi, oubliée par ceux qui m’avaient si
souvent honorée. Mais c’est une histoire que j’ai maintenant réussi à occulter
de mes souvenirs. Car, par une journée sombre et pluvieuse, un homme m’a tirée
de là. Charly, il s’appelle.
Pour moi, en fait, ce fut une journée des plus radieuses. Enfin, on
prenait soin de moi ! On s’intéressait à moi ! Il me sortit de cet antre sans
fond où je m’étais retrouvée confondue avec cette fange dans laquelle je
baignais alors. Au premier regard, je lui avais plu. Je l’avais vu tout de
suite dans son œil qui s’était allumé dès qu’il m’avait repérée. Il s’était
précipité, m’avait soulevée, extraite de ce bouge sordide. Il m’avait emmenée
avec précaution jusqu’à son véhicule que j’avais trouvé paradisiaque, même si
je me suis rendue compte par la suite qu’il était plutôt un peu vieux lui
aussi.
Arrivés chez lui, Charly m’a immédiatement dorlotée, baignée, soignée.
J’ai bien vu qu’il ne m’avait pas tirée de là pour me laisser croupir. Et ce
fut féérique ! Je passerai sur toutes les belles choses qu’il m’a fait
découvrir. Cela relève de l’intime ! Quand je fus remise en forme, astiquée,
parée, il me fit connaitre les bonheurs des liaisons multiples. Là non plus, je
ne m’étendrai pas, ma pudeur en prendrait un coup !
Depuis quelques temps maintenant, je vis avec un superbe costaud. Il a
roulé sa bosse. Je peux vous garantir que c’est un dur. Il en a pris des coups
! Mais il n’en garde pratiquement aucune trace. D’accord, il est un peu
rondouillard, je le concède. Mais quand je l’ai vu arriver, flanqué de ses deux
loupiots presqu’aussi forts que lui et tout-à-fait son portrait, j’ai
littéralement fondu à son contact. Et depuis lors, nous sommes devenus
inséparables.
Par la suite, nous avons adopté une famille de quadruplés. Ils en ont
vu de dures eux-aussi. Condamnés dès leur plus jeune âge à travailler la terre.
Mais ils restent très discrets sur les malheurs qu’ils ont dû endurer.
Et maintenant, Charly nous a trouvé un lieu de villégiature on ne peut
plus enviable. Dans les Corbières. Au milieu de nulle part. Sur la montagne.
Avec une vue imprenable sur un paysage enchanteur de collines à la végétation
méditerranéenne. Un petit village est niché au creux de la vallée. Un coin
parfaitement tranquille. Mais pas complètement isolé du monde ! Non, nous voyons
beaucoup de randonneurs qui passent nous voir dès le printemps et jusqu’à
l’automne. Et l’hiver, nous redescendons dans la vallée, dans une résidence
plus abritée.
Aussi,
à l’occasion, passez nous dire un petit bonjour ! Vous ne pouvez pas vous
tromper. Nous sommes au F. Oui, les numéros sont réservés aux petits nouveaux.
Vous verrez, je suis le nez dans un bosquet de fleurs blanches. Nous faisons
partie d’un village qu’on appelle
«les tortues »…
Daniel,
AE Flânerie de Mayronnes
Alouette, gentille alouette
Les alouettes
montent le chemin tortueux. Elles ont picoré tout au long du sentier des mules.
Le soleil, même voilé, génère une touffeur oppressante qui exacerbe les
fragrances sucrées du genet et du chèvrefeuille. Le gésier gavé de fragon et
d’armoise.
Soudain,
au-delà d’une ondulation du terrain, dans une crique végétale, une porte
s’ouvre. Interdites, elles se regardent. Dans leur dos, le vrombissement aigu
d’un puis deux, puis trois, non quatre énormes bourdons leur fait faire un pas
vers cette béance inquiétante. Craintives, elles jettent un œil d’où elles
sont, mais elles ne voient rien.
L’une d’elles,
plus hardie que les autres fait un autre pas, immédiatement suivie par ses
compagnes. Un escalier se dessine. Il monte ? Il descend ? Difficile à dire.
Une sauterelle bondit et surprend l’un des volatiles qui bouscule celles qui
précèdent. Elles sont maintenant à deux pas de la porte.
L’escalier
descend, mais on distingue mal ce qui se cache au fond de cet antre. L’une
s’écrie : « Regardez : l’île aux Tortues ! » Les autres écarquillent les yeux
et finissent, par langueur peut-être, par acquiescer.
La douceur de
l’air finit par leur procurer un réel bien-être, tout en leur laissant un
arrière-goût d’irréel. De même, le crissement des criquets concourt à les
rassurer.
Là-bas, tout
au fond, n’est-ce pas un hérisson ? Un sourd murmure semble monter des
profondeurs. Curieuse mais prudente, l’une des oiselles risque un pas sur la
première marche. Puis un autre. Suivie par ses congénères. Elles semblent
attirées par cette lueur, là-bas au loin. Elles progressent. Elles s’enfoncent.
Elles ne font plus vraiment la différence entre sol et plafond.
Descendent-elles ? Montent-elles ?
Elles
aperçoivent bientôt d’autres alouettes qui se dirigent vers elles. Leur pas
s’accélère. Elles ont hâte de les retrouver.
Au moment de
les toucher, elles se précipitent tellement qu’elles font une embardée,
s’écroulent les unes sur les autres et qu’elles se fracassent, dans un grand
bruit de verre brisé, sur leur reflet désincarné.
Elles se
retrouvent dans une prairie. D’autres portes devant elles. Enhardies par leur
expérience, elles avancent et franchissent la première porte, puis la deuxième
et continuent. Mais l’une d’elles a pris du retard. Et elle crie « Où êtes-vous
? » : Elles ont un peu d’avance, un porte d’avance… une porte… du temps !
Senteurs
chevalines
Fragrance des
genets
Douceur du
bois coupé sous le pied
Daniel, AE Flânerie de Mayronnes
et notre petite équipe...
« Aujourd’hui est un bon jour pour entrer dans la légende »
« Aujourd’hui
est un bon jour pour entrer dans la légende » s’est dit le python dès qu’il sortit du lac, en ce
matin de printemps lumineux. Une brume légère s’évaporait en nuages opalescents qui transfiguraient le
paysage. C’était magique, il trémoussait ses anneaux au gré des vagues
dorées, transparentes et légères .Je suis le maître du Lac, je suis le maitre, c’est moi ! Je nage, je rampe, je grimpe
dans la brume, sans effort ; il s’observait du haut de son corps étiré
posé sur sa queue enroulée en un petit anneau tel une assise de tabouret. Ses
yeux s’émerveillaient du paysage et de son altière figure. Impérial , c’est le
qualificatif qui lui vint à l’esprit quand il regarda les gouttes d’eau du lac
sacré étinceler telles des perles sur
les écailles de son long corps, un habit de cérémonie. Il est fait pour régner
pensa t’il, sur ce lac, et ses environs.
Comment y parvenir, à l’unanimité de tous et chacun, sans
soulever la moindre contestation de la
part de tous les habitants du Lac, il est Birman certes, et la dictature est
dans ses gènes, mais depuis l’enfance il
a lové au fond de son cœur un doute sérieux sur sa personne qui est
réactivé par mauvais temps :
lorsque la tempête soulève les eaux
mêlées au limon noir , elle transforme
son corps recouvert de boue en un
vulgaire bâton noueux, et il panique, son égo rapetisse et il va se cacher derrière
le premier rocher venu, c’est plus fort que lui, il ne maitrise pas la crise .
Python, Birman et Fragile, voilà son secret !
Il remplit ses poumons d’une grande bouffée de cet air
si frais, le garde un moment dans son ventre et lentement pousse l’expire, il recommence
et se sent envahi d’une profonde sérénité, l’espoir pointa
Son nez …
Il voulut affiner sa technique : je recommence, je
m’enroule, un tour, deux tours et je m’élève, son but immédiat devint de
traverser le premier nuage de brume, il constata alors que pour se tenir droit,
il n’avait pu s’enrouler que deux fois et lâchement il s’affala. Un bien piètre
prestation pour un python royal ! Heureusement, aucun spectateur. Il prit
une profonde inspiration, la garda au
fond de son ventre qui gonfla, puis dans l’expire se redressa en vrillant un
peu plus, il rajouta un cercle à sa détente, puis retomba aussi vite dans un
alignement improbable, mou ! Si je veux être royal, faut que je
m’entraine ! Foi de python birman du lac.
Python replongea dans le lac, fit une petite brasse qui
le détendit complètement et se redressa. Il mit tant de force qu’il se retrouva
debout sur trois anneaux dressés, au dessus des flots. Merveilleux.
Il alterna respirations, nage et enroulements, un
plaisir énorme l’envahit, il maitrisait enfin ses émotions et son corps.
Pendant son entrainement il n’avait pas vu le banc de perches qui
circonvenaient autour de lui, une trentaine de peureuses comme on les appelle
dans la région du lac faisaient la ronde. Elles passaient à travers les ajoncs d’eau,
soulevaient quelques algues harponnaient les moustiques, nageaient tantôt sur
le ventre, tantôt sur le dos, elles batifolaient à qui mieux mieux et se
rapprochèrent de Python. Elles refermèrent le cercle autour de lui. Il ne
pouvait pas les voir tant il remuait de l’eau en s’entrainant à se tenir debout.
Les perches et le python évoluaient sans se voir dans
ce bouillonnant tumulte, chacun riant à sa manière dans cette aire de jeux.
Enfin mû par une énergie débordante et une confiance en
soi exacerbée Python se redressa d’un coup enroulé comme un ressort au dessus
du lac, les nuages en furent éberlués et
une troupe de corbeaux qui passaient par là applaudirent à tout berzingue.
Python sourit, se détendit et plongea lentement pour profiter de son succès,
et changer de coin, il pouvait entrer en campagne !
Autour de lui
flottaient ventre à l’air trente perches, les trente peureuses qui sont eu le
souffle tranché net quand les anneaux se refermèrent sur elles dans l’élan final.
Les corbeaux s’abattirent sur les eaux et se réjouirent
d’un tel festin. Il avait ses premiers partisans, pensa t’il, mais les corbeaux
se tirèrent aussi vite qu’ils étaient apparus,
Au bout d’un moment, n’ayant aucun spectateur pour
admirer sa métamorphose il s’allongea, une petite sieste me fera le plus grand bien.
Il se réveilla sous le coup d’une douleur intense, sa
peau le démangeait, il sentit en même temps une petite odeur de roussi. La
brume avait disparu, le soleil brulant commençait à attaquer sa peau
tachetée ; il se redressa sur le côté pour éviter un rayon puissant qui le
força à cligner des yeux pour observer
médusé les taches claires de sa peau se transformer en cloques prêtes à
éclater : il était en train de cuire …. La magie changeait de
camp !!! Il ne pu se glisser jusqu’à la berge, un petit plongeon l’aurait
mis à l’abri de cette torture, lui le python birman maitre du lac, était en
train de se transformer en saucisse grillée.
Où il y a un imposteur, il y a aussi des
corbeaux !
Nadine, AE du 23 février 2013
On déménage encore des bouchons
C'est l'effervescence dans les
entrepôts de la rue des Bulles.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, une
série de détonations a réveillé le voisinage. Le centre d'appels du 112 a reçu
une multitude de coups de fils affolés. Cinq voitures de police ont immédiatement
été dépêchées sur place et la BAC (Brigade Anti-Criminalité) a été mise aussitôt
en alerte.
L'entrepôt de la Société Royal a donc
été cerné vers 1h30 du matin. Après avoir évacué les abords, les forces de
l'ordre ont procédé aux sommations verbales sous le feu des projecteurs. N'obtenant
aucune réponse, les projecteurs ont été éteints et les appels par haut-parleur
ont continué à être lancés. Pendant ce temps et alors que les détonations
retentissaient toujours, les hommes des forces spéciales, équipés de caméras
infrarouge ont investi prudemment les lieux.
Un officier est bientôt ressorti en
faisant signe que tout allait bien au moment où arrivait M. Sarko, le directeur
des établissements Royal. Le dispositif a été rapidement levé par le commandant
Typo, chef de la Police de la ville dirigeant l'opération, après un rapide
entretien avec le chef de la brigade d'intervention. En effet, les détonations
entendues par tout le quartier étaient dues en fait à des bouteilles de champagne
stockées dans ce lieu en préparation des fêtes de fin d'année et dont les
bouchons sautaient de façon inexplicable sous l'effet de la pression, anormale
semble-t-il ! Pour l'heure -- est-ce à cause du manque de "munitions"
? -- les bouchons ne sautent plus. Les enquêteurs vont procéder à des analyses
sur le vin incriminé pour tenter de comprendre l'origine du phénomène.
Par ailleurs -- mais est-ce vraiment
une coïncidence ? -- un cambriolage s'est produit sensiblement à la même heure
dans les locaux de l'entreprise Charlot, à quelques pas de là. Une source
proche de l'enquête nous confiait que les deux affaires semblaient liées, la première
étant destinée à faire diversion pendant que la seconde se déroulait. Les
détonations auraient permis de couvrir le bruit provoqué par la fracturation
des portes des bureaux visités.
D'autre part, alors qu'on déménage
encore des bouchons et des bouteilles vides, les services sanitaires ont été
dépêchés sur les bords du petit ruisseau qui coule en contrebas des entrepôts car
des poissons ont été repérés au fil de l'eau, ventre en l'air. Rien que du gros
!
Nous ne manquerons pas de vous tenir au
courant des suites de cette affaire.
Daniel AE du 23 février 2013
Le tricot des cent ans
"Aujourd'hui est un beau jour pour
entrer dans la légende." C'est ce qu'elle s'était dit en s'attaquant à son
ouvrage. Et pour se motiver, car ça allait être un travail de longue haleine,
elle avait punaisé la phrase en belle écriture anglaise -- elle savait encore
l'écrire -- au-dessus du poste de télévision. Elle avait songé de prime abord,
"au-dessus de la cheminée". Mais les temps avaient changé et, malgré
ses 99 ans, la télé était venue se loger tout logiquement dans l'encadrement de
la cheminée où, il n'y a pas si longtemps, elle faisait encore bouillir les légumes
de la soupe du soir.
Les voisins s'étaient bien un peu
inquiétés au début, mais ils la voyaient sortir pratiquement tous les jours en
fermant soigneusement sa porte à clef pour aller au village. Mais qu'allait-elle
chercher puisque d'habitude, un pain lui faisait plusieurs jours ? Quand ils
venaient la voir, elle ne les recevait que sur le seuil de la porte et ne les
laissait plus entrer. Elle gardait jalousement son secret !
Depuis des semaines, elle tricotait,
tricotait, tricotait… Elle faisait varier les points, les motifs, n'hésitant
pas à recommencer quand elle jugeait l'effet trop éloigné de celui qu'elle
avait en tête. Elle importunait la marchande pour trouver les couleurs et la
grosseur de fil de laine qui lui convenaient. Elle ne prenait pas souvent deux
pelotes identiques. La plupart du temps, une seule pelote lui suffisait. Mais
elle ne voulait jamais dévoiler le but de ses demandes. Aussi, les supputations
allaient bon train ! Il y a quelques années, elle avait confectionné au crochet
de petits personnages qu'elle enfilait sur des bouchons. Mais ses demandes
n'avaient pas été aussi précises à l'époque…
"Elle ne fait quand même pas
encore ses bouchons !" s'était exclamée la boulangère.
La bouchère avait rétorqué : "De
toute façon, avec la crise qui frappe, les espagnols ne viennent plus !"
"Oui ! Et il n'y avait qu'eux pour
acheter ces mochetés !" avait ajouté, non sans cynisme, la mercière qui,
pour l'instant, n'avait pas été sollicitée par la vieille dame.
Et son anniversaire approchait.
Bientôt, le village allait avoir sa centenaire ! La doyenne du canton si l'on
excluait les pensionnaires de la Maison de Retraite ! Mais elle était
originaire du village, elle ! Elle y avait toujours vécu ! Aussi le Maire
avait-il décidé, soutenu par son Conseil Municipal, d'organiser une grande fête
pour l'occasion. D'ailleurs, le 24 juin, cela tombait bien.
Les jeunes avaient été mis à
contribution. Ils avaient quémandé, et récolté de bon cœur, un peu de bois chez
les uns et chez les autres. D'autres en avaient également ramassé dans le bois Charlot.
Si bien qu'ils avaient édifié un immense bûcher devant la maison de la vieille,
à l'extrémité du village.
Le jour de la Saint Jean, toute la
population avait participé au repas organisé sous la halle, tous convivialement
réunis autour de la centenaire, après bien entendu les discours des personnalités,
dont le Conseiller Général qui s'était privé d'une partie de pêche pour l'occasion.
Et, bien sûr, les questions s'étaient bousculées sur le fameux ouvrage en
cours. Mais elle avait rétorqué : "Vous le verrez bientôt. je vous le
montrerai dès que les jeunes auront sauté les braises." La correspondante
du journal local, après quelque hésitation et un coup de fil à son rédacteur en
chef, avait décidé elle-aussi d'attendre pour pouvoir informer ses lecteurs
car, cela se savait, la vieille femme préparait une surprise !
Les jeunes avaient vraiment bien fait
les choses ! Ce fut un beau feu, un grand feu, un véritable feu d'enfer ! Les
pompiers volontaires ne restaient plus que deux, les deux plus jeunes, pour la
surveillance puisqu'un appel d'urgence avait envoyé leurs collègues sur un accident
de la route à une quinzaine de kilomètres de là.
Aussi, quand des étincelles s'étaient
posées sur le coussin du fauteuil que la vieille avait abandonné pour mieux
voir, devant la maison, ce fut un peu la panique. Tout le monde se mobilisa,
puis se bouscula pour tenter d'éteindre les flammes. Quand le feu prit trop de proportions,
on dut évacuer les meubles et les choses de valeur. Et l'on vit brusquement sortir
l'un des jeunes soldats du feu portant dans ses bras un objet volumineux.
C'était un objet manifestement tricoté, mais un fil s'était accroché au passage
et l'ouvrage se détricotait à chaque pas.
La vieille, que l'on avait prudemment
écartée, aperçut tout à coup la scène. On dut la retenir fermement tandis
qu'elle s'écriait en levant les bras :
"Mon Sarko ! Mon Sarkozy est
détricoté !"
Ce n'est qu'après plusieurs heures
d'efforts que les pompiers enfin revenus réussirent à circonscrire le sinistre.
La centenaire, d'abord choquée, retrouva peu à peu son calme. La maison était
malheureusement devenue inhabitable. Sa fille unique, présente pour l'occasion,
la rassura en l'assurant pouvoir l'accueillir chez elle. Depuis la mort de son
époux, elle se sentait d'ailleurs bien seule et ce serait avec plaisir qu'elle
lui tiendrait compagnie. Un moment songeuse, la vieille affirma :
"C'est le moment de changer ! Je
vais vivre plus librement en ville !"
Daniel AE du 23 février 2013
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