en juin 2011, nous décidions de passer un weekend à Llo, un charmant village catalan propice aux inspirations littéraires, suit un petit florilège de textes écrits lors de ce court séjour...
Là-haut
par Daniel
J’habite là-haut sur la montagne
Au bord d’un torrent violent, impétueux et
tempétueux
Une pente l’alimente au gré des tempêtes de neige
Sur laquelle
je vais glissant mon regard
pour repérer le foutu ours qui s’attaque à mes agneaux
Où rien ne
me retiendra de lui
tirer une balle… pour lui faire peur
Si je ne sais pas parler son langage, je
saurai quand même bien lui faire entendre raison
Mais les
mots qui me sauveraient, je ne les
ai pas entendus. Ceux qui ont été prononcés
Ont déjà
glissé
Sur la pente
de la trappe de l’oubli de ma
mémoire
Alors je
cherche ailleurs le
réconfort
Près de mes bêtes tout d’abord
Dans leurs jeux qui toujours me surprennent
Sous l’auvent de la bergerie quand je contemple
le soleil qui disparaît
Derrière l’horizon
Devant un bon vieux film de Charlot
De l’autre
côté de la montagne parfois
Au-dessous du bosquet de pins où les brebis se
prélassent en ma compagnie
Au-dessus de tous ces enquiquinements de la vie
Et je me dis que « Plus on
rajeunit vers la fin, … »
Là-haut sur
la montagne, un torrent violent, impétueux et tempétueux alimente au gré des
tempêtes de neige mon regard pour repérer le foutu ours qui s’attaque à mes
agneaux.
Lui tirer
une balle… pour lui faire peur ? …Mon langage, je saurai quand même bien
le lui faire entendre !
Je ne les ai
pas entendus, ces mots qui ont été prononcés, partis par la trappe de l’oubli
de ma mémoire
C’est le
réconfort !
Porte ouverte fermée
par Daniel
Une porte ouverte / Et une porte fermée
Quelque chose / Entre par les deux
Quelque chose / Sort par les deux
Quelqu’un / N’entre pas par les deux
Quelqu’un / Ne sort pas par les deux
Quelque son / Entre par les deux
Quelque son / Sort par les deux
Le mystère d’une porte fermée
Le mystère d’une porte ouverte
Un oiseau entre par la porte ouverte
Un oiseau ne sort pas / Porte fermée
Un oiseau crie / Porte fermée
Cri de l’oiseau / Porte fermée
Quelqu’un toque / Porte fermée
Quelqu’un n’entre pas / Porte fermée
Un oiseau vole / Porte fermée
Un oiseau crie / Porte fermée
La femme ouvre la porte fermée
La femme libère l’oiseau
Porte ouverte / Oiseau libre
L’oiseau sort / Porte ouverte
L’oiseau chante / Porte ouverte
La pente de San Feliu
par Daniel
Des barbares
font de la confiture avec un chien.
Est-il en
train de nous décrire dans sa tête une chenille velue dans le melon à l’anis ?
Seize
heures. Derrière la trappe de l’oubli, ma mémoire fait entendre la fin.
La porte
d’Alione reste imperturbable.
Août venant,
l’oiseau chante au clocher de Saillagouse.
Un poisson
arrivait au loin dans la brume.
Des pierres
en arêtes, la batteuse, le cœur de la civilisation … Foutu ours !
Le mystère
d’une porte ouverte qui bat sur la pente de San Feliu…
La porte d’Alione
par Daniel
Je porte un beau nom, n’est ce
pas ? Ce n’était pas mon nom à l’origine mais c’est à la suite de la
visite d’Alione d’Asti au début du 16ème siècle que l’on me donna ce
nom. Il était entré dans le château, bien sûr, en me franchissant et, lors de
son séjour, il avait composé un poème où il était question d’une porte. Il
avait semblé évident au seigneur de l’époque qu’il s’agissait de moi, c’est
ainsi que je suis devenue « la porte d’Alione » !
Ah, il était beau et majestueux, mon
château, quand on l’avait construit ! C’était au début du Moyen-âge, et
son bâtisseur avait beaucoup voyagé pour l’époque. Il était presque allé
jusqu’à Toulouse ! Et il en avait ramené des inspirations. A Hautpoul, il
avait bien observé le mur de la forteresse établie sur un piton, au Nord de la
Montagne Noire. Et c’est ainsi qu’il avait intégré, dans le mur du château, des
pierres disposées en arêtes de poisson. On dit que ce sont les Wisigoths qui
avaient imposé ce type de construction. Cela aurait, paraît-il, renforcé la
construction ! La construction était peut-être solide, mais le charpentier
qui m’avait conçue avait dû, lui aussi, avoir des conseils lors de ce voyage
qu’ils avaient fait de concert, car il avait eu soin de bien choisir mon bois
de châtaigner, l’assemblant avec des chevilles qu’il avait taillées dans un
bois qu’il était allé chercher spécialement dans la montagne.
J’avais donc fière allure pour
défendre l’entrée du château, quand, un matin de brouillard du début du Xème
siècle, alors que je fleurais encore le bon bois en cours de séchage, une bande
de barbares a surgi en braillant de la brume. Les gardes de faction avaient eu
le temps de me refermer avant qu’ils n’atteignent l’enceinte. S’ensuivit une
panique dans la population. Le seigneur, peu habitué à ces irruptions, crut bon
d’opposer une résistance à ces soudards. J’en fis en partie les frais. Ils
entaillèrent mes flancs avec leurs haches à l’acier acéré. Ma résistance avait
failli les tenir en échec. Mais, le fils du seigneur qui rentrait de la chasse
et ne se méfiait pas, fut capturé par les assaillants. Le seigneur préféra
ordonner qu’on les laisse entrer et ils purent se servir à volonté, tuant,
violant et raflant tout sur leur passage. J’ai entendu dire que le roi de
France avait fini par les amadouer en leur donnant quelques terres. Des Normands,
on les appelait, si je me souviens bien !
Par bonheur, le petit-fils du
charpentier qui m’avait assemblée avait échappé à l’hécatombe et, ayant appris
les bons gestes de son aïeul, il me restaura et c’est comme neuve que je
franchis le cap du nouveau millénaire. Je vis alors des prédicateurs de tout
genre me franchir. Des moines qui prêchaient la croisade et finirent par
enrôler le seigneur de l’époque. Des « bons hommes » venus porter la
bonne nouvelle du catharisme, mais ils eurent peu d’adeptes dans notre région.
Des inquisiteurs qui dénichaient des sorcières parmi nos braves paysans, et
particulièrement chez les simples d’esprit. Des partisans de la Réforme,
pourchassés par les catholiques et qui cherchaient refuge en se dissimulant
sous des métiers ambulants.
Même si je vis quelques atrocités,
on ne porta pas atteinte à mon intégrité. Mais les ans ont passé et, au fil des
siècles, des restaurations ont été nécessaires. Il ne reste plus grand-chose de
mon bois d’origine. Pas plus qu’il ne reste beaucoup des pierres de mon château
originel. Passant, vous qui arpentez ces sentiers balisés, si vous regardez bien,
peut-être saurez-vous distinguer des traces du passé dans ces murs. Ayez aussi
une pensée pour toutes ces vies qui ont caressé mon bois et m’ont admirée. Mais
je vous le confirme, comme vous le dit si bien Armand, « plus on rajeunit
vers la fin, plus le sac est lourd… » !
Le battage
par Daniel
Août venait d’arriver. Alione
attendait impatiemment ce jour où l’on allait battre les quelques maigres
meules de blé et d’orge que son père avait récoltées. La cour était encore
calme quand elle s’était levée dès l’aube.
Bientôt, il y aurait foule dans
cette cour et l’on n’entendrait même plus les bruits d’eau de la cascade. Un
bruit de pas résonnait et allait croissant dans l’escalier d’ardoises. Quelques
minutes après, effectivement, les hommes arrivèrent suivis par les voisines
qui, elles aussi, venaient prêter main forte.
Comme à l’accoutumée, en milieu de
matinée, une pause serait observée pour restaurer les hommes participant à ce
dur labeur. Alione avait, à cette occasion sorti le miel d’acacia du printemps,
les confitures de melon à l’anis qu’elle préparait si bien, ainsi que la
confiture de cynorhodon ou de framboises sauvages. Ils connaissaient ses
talents et c’est avec une certaine impatience qu’ils attendaient ce moment
arrosé de jus de sureau et accompagné de quelques pommes de terre fraîchement
ramassées dans le champ derrière la ferme.
Pour l’heure, ils s’activaient
autour de la machine. Alione les voyait bien au travers de la fenêtre de la
cuisine. Il y avait le gros Jules qui enfournait les gerbes en ahanant. Pierre
qui les lui passait depuis le haut de la meule. Jean et Henri qui entassaient
la paille égrenée. Son père qui recueillait le grain dans des sacs de jute. Et
surtout, Gustave, qui empoignait les sacs et les jetait sur son épaule avec
d’autant plus de vigueur qu’il avait surpris le regard posé sur lui. Il monta
dans le grenier pour vider son fardeau.
Elle le connaissait bien, le
Gustave ! Depuis leur tendre enfance ! Et ils étaient allés à l’école
ensemble. Ils se retrouvaient quelquefois derrière la tour. La semaine
dernière, ils étaient même allés jusqu’à la chapelle de San Feliù. Ils
s’étaient allongés parmi les herbes folles et contemplaient leur vallée.
Quelques décennies plus tard, ils pourraient y distinguer la tour de Thémis qui
pointerait dans la brume. Mais pour l’instant, le gazouillis des linottes et le
couplet lancinant du coucou se mêlaient aux mots tendres que Gustave lui
susurrait à l’oreille.
Il arborait à sa boutonnière une
fleur d’iris que le vent malin avait rompue. Ils observaient les nuages, y
reconnaissant le profil du vieil Armand qui s’était éteint l’hiver dernier. Lui
qui ne cessait de répéter à toute occasion « Plus on rajeunit vers la
fin,… »
Tout à coup, Alione se redressa en
poussant un cri et elle se retourna en levant les mains. Mais ce n’était qu’une
touffe de panicaut qui l’avait picotée au travers de sa jupe !
Llo
par Jean-Louis
-I-
On est au point culminant du village, ou
presque. Devant nous, sur son éperon rocheux, c'est le « castell » dont le
donjon s'imposait hier soir en veilleur raide bien éclairé dans la nuit du
village juste percée de pâles lampadaires. Elle semblait alors toute proche et
très haute dans sa raideur de cube étiré.
Là, elle nous est cachée par le mur
d'enceinte arrimé à un socle rocheux dont il épouse l'arrondi. À droite, une
tour d'angle massive dont les structures de défense ont dû être abattues. Le
sommet arasé n'est plus qu'un crâne sur lequel des herbes sèches frémissent
sous un vent léger, comme les cheveux fins d'une vieille tête.
Le portail d'entrée est face à nous, perché
plus haut que nous au bout d'un vieil escalier dont les marches de grosses pierres
rouillées soutiennent une terre bien tassée sur laquelle une herbe bien verte
pousse drue. On ne doit pas souvent passer par là.
Sur le mur plein dont les pierres nues
dessinent des vagues écrasées, une fenêtre paradoxale est percée hors de portée
avec son cadre en bois de travers, œil vide ouvrant derrière sur une autre
structure de bois avec son carreau, celle-là.
La lourde porte de bois surprend quand on
s'en approche. Pas de serrure ancienne où couler l'œil pour voir derrière la
cour qu'on imagine devant la tour. Non, un nom peint sur un bout d'ardoise,
comme une maison particulière. Et un cordon qui doit donner l'alerte en
agitant, dans les profondeurs, une sonnette. Des traces d'aménagement
électrique.
Et, ô surprise ! Quand on cherchait la tour
visible de partout depuis qu'on était arrivé à Llo et qu'on croyait maintenant
cachée par ce mur d'enceinte comme si une cour devait obligatoirement s'ouvrir
derrière ce lourd portail de bois jusqu'à ses pieds, il suffisait de lever la
tête pour voir que la tour étaient bien là, mais pas où on la cherchait, bien
au-dessus de nous. Il nous restait à grimper encore par des sentiers rocailleux
pour arriver vraiment à la base du pauvre donjon réduit à trois murs mais quand
même percé d'une porte donnant sur le vide. D'ici on domine bien le bâtiment
d'enceinte qu'on avait pris d'abord pour le château.
-II-
Roberto Juarroz a écrit :
« Une fenêtre ouverte/et une fenêtre fermée
Quelque chose/entre par les deux
Quelque chose/sort par les deux »
Ici, le vent seul ose franchir ce seuil sur
le vide mais, en vigie, quand le corps se cale bien aux pierres pour ne pas se
laisser entraîner, l'œil se croit rapace, dominateur, libre sur un très grand
angle de voir et de humer ce paysage grandiose, le contrefort rocheux ouvert en
amphithéâtre sur une large succession de prairies et de bois, des villages
accrochés aux pentes, des maisons imbriquées et des toits en cascades. Un
cirque immense avec, comme dans le théâtre antique, les sons de la vie qui
montent parfaitement clairs jusqu'à nous. Un paysage serein, peu de mouvements
mais des roulements de tondeuses ou des traversées de tracteurs.
Les sommets les plus hauts, en face, loin de
l'autre côté de la vallée, portent encore leurs traces de neige. Dans cet
espace, le ciel joue des variantes. De grands à plat d'un bleu intense sous
lesquels se glissent de légers nuages ouatés dans lesquels le soleil sculpte
des reliefs, les traînées parallèles du passage des avions et, comme
s'arrachant des sommets d'en face qui les accrochent, des volutes plus
inquiétantes par leur gris profond et qui semblent vouloir venir vers nous.
-III-
Les deux tours
La tour sur son piton rocheux domine tout ce
large paysage que regarda sans doute la belle Alione avant que les hommes
d'armes la précipitent du haut de ses murs pour lui faire expier l'audace
d'avoir aimé l'écuyer le plus beau et de n'avoir eu aucune honte à laisser
éclater sa joie. Lui, les brutes l’avaient percé de leurs glaives et réduit en
charpie pour qu'il ne reste rien de la prestance du garçon et de son beau
visage. Le temps en a effacé même le souvenir, seul le marbre semble vouloir en
garder la trace, couvert qu'il est d’une sorte de lichen ocre qui lui donne un
aspect rouillé. Les ruelles qui dégringolent de là vers le bas du village
rafraîchissent par des bruits d'eau qui cascadent sous les églantiers. Les rues
se précipitent aussi en escalier entre de hauts murs de grosses pierres blondes
soutenant le jardin où un noyer verse son ombre envahie du parfum des sureaux.
Des dalles d'ardoise conduisent à un petit jardin découpé dans un espace
improbable où le feuillage des pommes de terre émerge des herbes folles. Le
minéral est envahi par la verdure. Beaucoup d'iris, des acacias. Parfois, un
nuage léger vient ombrer la vaste ouverture bleue du ciel que le regard
circulaire peut voir jusqu'au lointain massif encore piquetée de neige et dont
s'échappe, comme une fleur de béton, la haute structure d'un four solaire,
exact pendant de la tour d’Alione qui donne un avenir contre la mort. Dans ces
vastes espaces libres au vent, le calme domine. On est bien.
-IV-
J’habite en cet instant un bruit d'eau et le souffle
du vent
Au bord d'un torrent de montagne assez nourri pour être
joyeux
Une pente escarpée de part et d'autre
Sur laquelle je vais glissant dès que je m'éloigne du creux sonore et
ensoleillée
Où rien ne me retiendra sur cette végétation traître qui coule
par-dessus les pierres qu'elle masque, aussi glissante que mouillée.
Si je ne sais pas parler de la pluie et du beau temps, des diarrhées
du chien de la voisine ou du prix ahurissant des légumes, je glisse plus à
l'aise vers les mots du bonheur, de la gourmandise ou du plaisir.
Mais les
mots qui me sauveraient à coup sûr de l'ennui sont ceux qui rebondissent
comme un long échange à Roland-Garros, qui
Ont déjà
glissé de vous à moi dans les instants d'élections, nous entraînant
Sur la pente d'une complicité à la fois si surprenante et
belle que, pour un moment, on exulte avec le cœur si secoué qu'on peut se
demander parfois si on ne va pas en claquer.
Alors je cherche ailleurs la même impalpable attirance qui parfois,
juste en trois allumettes, allume un intense feu de joie juste par des mots
Près de toi dont la voix me chatouille
Dans le choix des mots les moins attendus pour
enflammer l'imaginaire
Sous le ciel infini des possibles
Derrière la connerie ambiante dont il nous arrive de
nourrir ce feu de joie
Devant ce qui nous épouvante mais contre quoi on ne
peut rien
De l'autre côté du tricotage habituel quand on choisit la
dérision comme ultime politesse
Au-dessous de la menace d'une connerie ultime
Au-dessus de la peur dont seuls les mots savent nous
garder.
-V-
À quoi tu penses ?
Je ne crois pas qu'on soit le même dans un
métro bondé et là, dominant toute cette large vallée après l'effort de la
marche qui nous a conduits lentement bien au-dessus de ce qui, ce matin, nous
semblait haut. Déjà au niveau du son. Ce qui est présent d'abord, c'est le vent
qui nous enveloppe, par un vent violent mais le souffle de l'air que rien
n'arrête, qui a pu caresser les neiges, en face, avant de nous passer sur le
cou, un vent qui n'a pas d'odeur forte, non. Qui fouette et régénère, nous
libère de la sueur, du confiné. Et puis une rumeur qui monte de la vallée,
comme un bruit de fond, mais rien qui monte, comme ce matin, de la scène vers
les derniers gradins. Là, c'est juste un rappel de la vie, de l'activité
humaine en bas dont on voit peu, d'ici, le mouvement. La distance ralentit le
déplacement des voitures alors que la vue nous livre plusieurs villes avec
leurs tentacules au long des voies de circulation comme des mains qu'elles
tendent les unes vers les autres. En bas, le dessin de l'érosion sur un éperon
rocheux est creusé par la lumière. Cela fait autant de plans exposés comme une
maquette. Le soleil déclinant rehausse les pierres nues des crêtes d'une touche
d'ocre clair lumineuse.
Vu d'ici, le monde est encore beau. Le
travail des hommes emmêle des prismes qui à cette distance sont mêlés par les
touches vert foncé des arbres pour composer un assez beau tableau géométrique.
Des masses qui s'équilibrent, de grands à plat vert tendre de terres cultivées.
Alors moi, là-dedans, à quoi je pense ? À
rien de particulier. Je suis. J'y suis et mon œil joue à essayer d'évaluer les
distances, les hauteurs. Oh pas en géomètre ! Simplement à ne pas me laisser
tromper par mes sens qui mélangent les divers plans et évaluent mal les
hauteurs les unes par rapport aux autres.
Là-haut, sur la ligne de crête des sommets,
juste en face de moi, une mer de nuages prise derrière semble un temps déborder
et s'écoule mollement vers ici, comme une cascade lente. Certainement pour un
assaut du vent d’Espagne parce que cela ne dure pas.
Que suis-je là ? Pas une pensée. Un corps qui
respire, une peau qui savoure le soleil, le vent, et un cœur apaisé qui
ralentit mon souffle. C'est bon.
C’est sûr je ne suis pas le même coincé dans
les odeurs et le bruit du métro en heures de pointe.
-VI-
Vert
Ayant perdu sa pantoufle de vair, Cendrillon
se précipita dans la serre pour retrouver ses esprits, cachée dans la verdure
d'une végétation luxuriante qui l'abritait aussi de la fraîcheur de la nuit.
Dans son trouble, elle s'appuya de la main à la terre molle d'une poterie et
hurla en apercevant un malheureux ver entrelacé à ses doigts. Le cœur fou, elle
se précipita contre les vitres, écrasant le nez au verre des parois pour voir
dehors les dernières femmes en vertugadin regagnant leurs attelages. D'humeur
versatile, elle balaya sa peur dans la contemplation des fleurs aux nuances
infinies, peut-être étourdie dans ce bain de chlorophylle, touchée par le
linéament des arborescences figeant d'innocentes évocations des plus gros
serpents de la nature, des plus beaux aux plus inquiétants, qu'elle pouvait
imaginer là en passant sous leur arche avec un sentiment très nouveau de
courage. Depuis qu'elle n'avait plus un carrosse mais une citrouille pour
rentrer nu-pieds, elle se faisait un peu l'effet d'une héroïne. Passée la
première peur, elle se sentait très bien dans ce rôle nouveau. Elle pensa en
plus que cette couronne de verdure dans la pénombre de la serre devait
particulièrement adoucir son teint. Bref, sa situation lui plaisait. Pour
l'instant.
Balades bucoliques
par Sylvie
J’ai pénétré
dans le village par l’une de ses ruelles étroites & pentues, … une force tranquille se dégage de l’ancien
bastion d’Allione et s’abat sans crier garde
sur le voyageur flâneur… cette force, ce sont les ans … ici le temps
semble s’être arrêté. Mousses,
graminées graciles et herbes folles ont
envahies les rocs et tous les interstices des constructions humaines … la nature reprend ses droits sur le marbre
aux fenêtres, le granit des murs ou les ardoises usées et jaunies …. Ca et là,
les vestiges du passé disparaissent sous le poids des nuages et de la
végétation : la veille tour témoin de l’âge d’or du village cohabite avec
les sureaux et les églantiers et fleure bon à qui a le courage de grimper
jusqu’à ce promontoire. Belle récompense pour le voyageur, après avoir gravit
les dernières marches de l’escalier, à l’ombre des acacias et noyers, que de
respirer l’air frais à pleins poumons surplombant ce havre de tranquillité. J’ai bien mérité ma sieste bucolique bercée
par le murmure des sources et le gazouillis des fontaines. Je vais retrouver en
rêve & en chevalier s’il vous plait,
Allione et ses splendeurs passées. Merci de ne pas me réveiller car il
va falloir ruser pour séduire la belle … peut-être m’accordera t’elle ses
faveurs tentée par mon délicieux gratin de pommes de terre … allez savoir la
gourmandise est le plus beau des défauts.
par Sylvie
Il y a
quelqu’un, une âme cachée
Un ange
pointe sa fraise, sourire du paradis
Image
fugace, image rêvée
Doux traits,
imprimés dans ma mémoire
Retour en enfance au temps des messes
dominicales
Bercée par les psaumes, à scruter la fresque
divine
Peuples de damnés, de pieux chanceux
Démons féroces, anges malicieux
Te revoilà, qui me joue des tours
A chercher l’issue, le passage magique
Fenêtre sur l’enfer, fenêtre sur le paradis
J’ai visité vos deux mondes, et y ai pris
goût
DERRIERE LA PORTE
par Sylvie
Poussée par la curiosité de son jeune âge, 5
ans, elle avait escaladé laborieusement le vieil escalier de pierre … c’était
devenu un jeu d’enfant de faire des pas de géants entre chaque marche avec ses petites jambes qui maîtrisaient bien
maintenant la marche. Sans qu’aucun de ses parents ne s’en rende compte,
l’enfant avait ainsi échappé à la surveillance familiale… Ni une ni deux, elle
se trouvait maintenant en face de la lourde porte en bois cloutée du château.
En se hissant sur le point des pieds, elle réussit à attendre le loquet … et la
bobinette cherra … derrière, pas de grand méchant loup, mais un fabuleux jardin
gardé jalousement des regards. Sur le porche l’enfant hésita un moment à basculer dans ce nouveau monde. Mais l’appel de l’inconnu et d’un mystérieux
nain de jardin eurent le dessus. Sans se retourner, elle sauta à pieds joints
la margelle, tira doucement la lourde porte derrière elle et commença à
savourer sa fugue. A l’intérieur, tout semblait différent …abeilles et
papillons butinaient ses boucles et vrombissaient sans cesse « approche
toi, n’aie pas peur » dit l’un « nous t’attends » dit l’autre … et
c’est alors que le nain de jardin lui fit un clin d’œil. Elle n’avait pas rêvé,
ce monde mystérieux figé juste alors s’animait. Sortant de ses rêveries, elle
s’aperçut que le nain de jardin était maintenant devant elle agitant son bonnet
rouge intense et lui tendant la main : « Alice, viens avec moi,
laisse moi te présenter à notre reine » … et suivant ce chapelier fou de fortune,
Alice s’avança confiante.
A QUOI TU PENSES ?
par Sylvie
Je suis au pied de la chapelle et au pied
d’un mon bout de ma vie ….
Ce lieu m’est familier … c’est mon nid
d’aigle, mon repère qui consigne les différents passages de mon histoire…
J’y ai déposé mes peines, mes peurs, mes
vœux, mes souhaits…
Je suis venue ici, à tout âge, pèlerine
intemporelle …
Seule, en famille, accompagnée d’amis … avec
ceux que j’aime et ceux que j’ai aimés …
Sentiment d’être un et un tout avec l’univers
Je suis le lien entre la terre et le ciel,
entre les vivants et les morts
Je suis en apesanteur
Je me fonds dans cette immensité, je suis
air, je suis ciel, je suis terre …
Je suis élément, je suis esprit, je suis ange
...
Je suis nue, je suis moi, je suis sans
carapace
Je joue à cache-cache avec les nuages
Je suis, je ne suis plus
Ici le soupir devient chant
Le souci devient un rêve léger
Tout est possible, le monde est suspendu
La rosée me baigne
Le serpolet me nourrit
St Feliù me réchauffe de sa bienveillance
Je suis tout simplement bien
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